Saint-Paul qualifiée de paradis fiscal: une pratique légale selon la marina Gosselin

ÉCONOMIE – Les marinas de Saint-Paul-de-l’Île-aux-Noix auraient recours à un stratagème qui permettrait aux acheteurs de luxueux bateaux de ne pas payer les taxes. C’est ce qu’a révélé l’émission «Enquête», dans un reportage diffusé à Radio-Canada, le 17 mars. La société d’État qualifie l’endroit de «paradis fiscal». Des allégations réfutées par différents acteurs de l’industrie nautique.

L’équipe d’Enquête s’est rendue à la marina Gosselin pour faire l’achat d’un bateau. Sur un enregistrement obtenu à l’aide d’une caméra cachée, un vendeur explique qu’il n’y aura aucune taxe à ajouter au prix d’achat.

On propose au client d’enregistrer son bateau au Canada, mais de le livrer sur le lac Champlain, aux États-Unis. Si le bateau reste au sud de la frontière, jamais le propriétaire n’aura à payer de taxes au Canada.

La loi américaine prévoit qu’une taxe sera payable aux États-Unis si le plaisancier reste un certain nombre de jours au même endroit. Ce nombre diffère d’un état à l’autre.

L’hiver venu, le propriétaire fait une demande pour entrer temporairement au Canada de manière à faire réparer son bateau et à l’entreposer dans une marina située sur la rivière Richelieu. Au retour de la belle saison, il retourne naviguer sur le lac Champlain, du côté américain.

Légal

Cette pratique est légale et se fait au vu et au su des autorités partout au Canada, et ce, depuis plus de 40 ans, précise Martin Gosselin, copropriétaire de la marina Gosselin de Saint-Paul-de-l’Île-aux-Noix.

«On agit selon les lois, dit-il. Si la loi avait changé, nous nous serions conformés aux normes. Il n’y a aucune combine là-dedans. La loi est faite comme ça.»

Ce que le reportage dépeint comme une «combine» est tout à fait légal renchérit Yves Paquette, directeur général de l’Association maritime du Québec. L’organisation compte quelque 9000 membres, dont des plaisanciers, des marinas, des ports de plaisance et des écoles de voile.

S’il est vrai que les acheteurs de bateaux hors taxes n’ont pas à payer la TPS et la TVQ, cela s’accompagne d’une restriction majeure: ces embarcations ne peuvent pas naviguer en eau canadienne, explique M. Paquette. Pour ramener son bateau au Canada, le propriétaire doit acquitter les taxes.

En ce qui concerne l’hivernage des bateaux au Canada, une loi permet effectivement les entrées temporaires au pays pour l’entreposage ou pour effectuer des réparations.

Les marinas qui accueillent ces bateaux l’hiver s’en rendent responsables et doivent verser un cautionnement au gouvernement canadien. Celui-ci équivaut au montant des taxes. Cela permet d’assurer le respect des conditions et le retour du bateau en eau américaine dans les délais prescrits.

M. Paquette précise aussi que cette pratique n’est pas unique à Saint-Paul-de-l’Île-aux-Noix. Cette loi est la même partout au Canada. «Ça se fait aussi à Saint-Mathias et à Sorel», précise Claude Leroux, maire de Saint-Paul et conseiller aux ventes à la marina Fortin.  

Économie

Pour M. Gosselin, la loi, qui permet la vente de bateaux hors taxes, représente en quelque sorte un programme d’encouragement commercial. Il fait un parallèle avec les rabais consentis sur le prix de l’essence dans les municipalités canadiennes situées près des frontières américaine et ontarienne. Environ 90% des bateaux achetés à la marina Gosselin sont vendus hors taxes.

Si on n’a pas ça, les gens qui naviguent sur le lac Champlain vont aller acheter leur bateau juste de l’autre côté de la frontière où le taux de taxe est de 4% ou 5%», mentionne M. Gosselin.

Il soutient que les Américains n’appliquent pas toujours leur propre loi à la lettre. Ceux-ci n’imposent pas aux plaisanciers canadiens de payer des taxes aux États-Unis même s’ils restent plus longtemps que le temps permis.

M. Gosselin croit que les autorités américaines agissent ainsi parce qu’elles ont calculé que cela était plus avantageux pour l’industrie du nautisme sur le lac Champlain.

«Les Canadiens font vivre les marinas du lac Champlain. Ils occupent environ 80% des places de quai», ajoute-t-il.

Retombées

Il n’y a pas que les Américains qui profitent de la manne de plaisanciers, mais aussi Saint-Paul-de-l’Île-aux-Noix.

«Saint-Paul, sa business, ce sont les bateaux, affirme le maire Leroux. Je vais tout faire pour que notre industrie du nautisme fonctionne très bien. C’est une industrie qui fait vivre beaucoup de familles.»

M. Leroux déplore le fait que ce reportage cible Saint-Paul et la décrive comme un paradis fiscal. «C’est supposément un paradis fiscal, mais on n’a même pas de guichet automatique. Si c’était le cas, on aurait des banques», conclut-il.

Un sous-ministre client de la marina Gosselin

Le reportage d’Enquête a aussi dévoilé une chaîne de courriels entre la copropriétaire de la marina Gosselin, Christine Gosselin, et le sous-ministre François Guimont. Ce dernier est notamment responsable de l’Agence des services frontaliers du Canada. Dans un des messages, Mme Gosselin demande à M. Guimont d’intervenir auprès des personnes concernées à Ottawa pour permettre aux bateaux hors taxes d’entrer au Canada.

Enquête révèle que M. Guimont est un client de la marina Gosselin. Le reportage suggère que c’est pour cette raison que Mme Gosselin a eu un accès privilégié à ce sous-ministre.

Yves Paquette, directeur général de l’Association maritime du Québec, précise que, contrairement à ce que laisse entendre Enquête, cette démarche a été amorcée par des entreprises de la région de Windsor, en Ontario, puis par l’ensemble de l’industrie canadienne.

«Cela faisait six mois que ma sœur était sur le dossier», ajoute Martin Gosselin, copropriétaire de la marina Gosselin.