Québec encadre l’utilisation de pesticides: les agriculteurs devront absorber les pertes

AGRICULTURE – Le ministère de l’Environnement du Québec a annoncé, le 19 février, de nouvelles mesures pour encadrer l’utilisation de cinq pesticides qui sont les plus à risque pour la santé, l’environnement et les pollinisateurs. Les producteurs de grains soutiennent que ces mesures pourraient entraîner des pertes financières de 120 $ l’hectare. S’ils sont d’accord sur le principe de ce règlement, ils déplorent le fait de ne pas recevoir de compensation suffisante.

Les pesticides visés par cette annonce sont l’atrazine, un herbicide, le chlorpyrifos, un insecticide utilisé en production maraîchère, et trois néonicotinoïdes (clothianidine, imidaclopride et thiaméthoxame), des insecticides avec lesquels on enrobe les semences de maïs, de canola et de blé, entre autres.

Ces produits sont jugés plus à risque en raison de leurs effets négatifs sur la santé humaine et celle des animaux. Les néonicotinoïdes sont reconnus pour leurs effets néfastes sur les pollinisateurs, comme les abeilles.

Mesures

Parmi les nouvelles mesures qui s’appliqueront, les agriculteurs devront dorénavant obtenir une prescription d’un agronome pour pouvoir utiliser ces produits.

Ce nouveau règlement entre en vigueur le 8 mars pour l’atrazine et le 8 septembre, pour les néonicotinoïdes enrobant les semences. Le chlorpyrifos devra faire l’objet d’une prescription agronomique à compter du 1er avril 2019.

Réaction

Pour le président des Producteurs de grains du Québec (PGQ), Christian Overbeek, cette réforme est abusive et contreproductive.

«Avec ce règlement, on va être justifiés d’appliquer des néonicotinoïdes seulement si le dépistage indique que le ver fil-de-fer, qui attaque le maïs, est suffisamment présent pour occasionner une perte de rendement de plus de 5 %, déplore M. Overbeek. Cette loi se base sur une étude qui conclut qu’une baisse de moins de 5 % de rendement, ce n’est pas grave, et que ce sera aux producteurs de l’assumer.»

Selon lui, cette tolérance de 5 % de baisse de rendement se traduira par des pertes financières. «En Montérégie-Ouest, 5 % de pertes représente 600 kg de moins de maïs-grain à l’hectare. Ce sont des pertes de 120 $ l’hectare», explique M. Overbeek.

Jérémie Letellier est producteur de grandes cultures. Il possède des terres à Saint-Cyprien, Saint-Blaise et Saint-Paul-de-l’Île-aux-Noix. En 2018, il produira 400 hectares de maïs-grain. «Des pertes de 5 %, ça représente 48 000 $, dit-il. C’est souvent ça notre marge de profit.»

La nouvelle réglementation vise à encadrer l’utilisation de cinq pesticides considérés comme à risque, comme les néonicotinoïdes, qui sont reconnus pour leurs effets néfastes sur les pollinisateurs, comme les abeilles.

Maraîchers

Du côté des producteurs maraîchers, on ne craint pas les pertes financières, mais ces nouvelles règles sont perçues comme des lourdeurs administratives.

«Les producteurs ont déjà des registres et sont encadrés, explique André Plante, directeur général de l’Association des producteurs maraîchers du Québec. Quand ils utilisent le chlorpyrifos, c’est parce qu’ils en ont besoin.»

M. Plante craint aussi qu’il manque d’agronomes pour répondre à la demande. «On apprend que ce sont 150 agronomes qui seront dédiés à faire des prescriptions pour tout le Québec, dit-il. On verra en temps et lieu, mais c’est sûr que ça amène de l’inquiétude.»

«C’est un bon pas parce que ça montre que la société s’en préoccupe, mais il ne faut pas oublier les producteurs. Si on les stigmatise, on n’avancera à rien.»

Samuel Comtois, agronome

Aide

Le gouvernement s’engage à verser une aide de 14 M$ sur cinq ans pour aider les producteurs à s’adapter à ces nouvelles mesures.

Québec versera 750 $ aux entreprises agricoles pour lutter contre les ennemis de culture en remplaçant les pesticides par des produits moins à risque.

L’aide financière sera bonifiée à hauteur de 85 % en matière de services-conseils en agroenvironnement.

Le gouvernement offre aussi une aide pour l’achat de mouches stériles en remplacement du chlorpyrifos, par le biais du programme Prime-Vert. Cette aide peut atteindre 5000 $ par année et jusqu’à 10 000 $ pour la durée du programme.

M. Overbeek croit que cette aide est insuffisante. «Ces 14 M$ sur cinq ans, ça donne environ 3 M$ par année. Si tu additionnes les superficies de grandes cultures et maraîchères, ce programme a un impact de moins de 3 $ l’hectare en moyenne, alors que les pertes pourraient atteindre 120 $ l’hectare. Nous sommes en accord avec la réduction de l’utilisation des pesticides, mais il faut demeurer compétitif. On vit dans un contexte nord-américain et mondial.»

Solutions

Le Pôle d’excellence en lutte intégrée, basé au Centre local de développement des Jardins-de-Napierville, travaille en amont pour diminuer l’utilisation des pesticides en agriculture, en faisant connaître des méthodes alternatives de lutte aux ennemis des cultures.

Sa coordonnatrice, Anne Ammerlaan, rappelle que plusieurs options s’offrent déjà aux agriculteurs qui sont soucieux de réduire leur utilisation des pesticides

«Ça commence par le dépistage et l’accompagnement dans un club-conseil, dit-elle. Il faut varier ses sources d’information et ne pas se fier uniquement à son vendeur de pesticides. Il faut aussi aller voir ce que les autres producteurs font.»

Samuel Comtois est agronome pour PleineTerre, une entreprise qui offre des services-conseils en agronomie et en environnement. Ses bureaux sont situés à Napierville. Selon lui, cette nouvelle règlementation est un pas dans la bonne direction, mais elle rate sa cible.

«Un des plus gros problèmes, c’est que des agronomes qui font des recommandations peuvent aussi vendre des pesticides. Ça prend surtout des services-conseils indépendants, mais aussi de l’investissement en recherche et développement en lutte intégrée.»