À la ferme La Production Barry: la productivité passe par le bonheur des employés

AGRICULTURE – Madeleine et Jean-Marie Zumstein, les propriétaires de la ferme La Production Barry, située à Sherrington, font partie des 13 lauréats régionaux de la dernière édition du concours Ma ferme, mon monde, organisé par AgriCarrières. Ils se sont démarqués par la façon dont ils cultivent le respect mutuel entre eux et les travailleurs qu’ils emploient, mais aussi parce qu’ils ont conçu un manuel de l’employé qui permet de bien guider leur personnel.

Les Zumstein sont les gagnants pour la région de la Montérégie-Ouest. Ce concours vise à faire connaître des employeurs agricoles inspirants, qui mettent en œuvres de bonnes idées en matière de gestion des ressources humaines.

C’est leur façon d’accueillir et d’encadrer les travailleurs étrangers qu’ils embauchent qui leur a permis de se démarquer à ce concours.

Eux-mêmes enfants de parents immigrants, qui ont quitté leur Suisse natale au début des années 1980 pour s’installer dans la région, Madeleine et Jean-Marie Zumstein ont rapidement compris ce que pouvaient ressentir les travailleurs agricoles étrangers qu’ils emploient et les difficultés qu’ils peuvent rencontrer.

Chaque année, ils accueillent une trentaine de Mexicains et de Guatémaltèques, qui triment dur, pendant plusieurs mois, loin de leur famille.

«Environ 80 % d’entre eux reviennent chaque année, explique Mme Zumstein. Le plus ancien est là depuis 2005. Il y en a plusieurs qui sont avec nous depuis 12 ans et plus. On a grandi sur une ferme avec des travailleurs d’autre pays, comme l’Inde. J’ai toujours eu une sensibilité envers les problèmes que ces travailleurs peuvent vivre. Mes parents sont eux-mêmes des immigrants.»

Difficultés

L’éloignement de leur pays d’origine et la barrière de la langue représentent deux difficultés auxquelles font face les travailleurs étrangers, dans le quotidien. Ces problématiques ont aussi des répercussions sur les employeurs qui les embauchent.

«On s’est vite rendu compte très tôt que plus de 50 % des erreurs commises par les travailleurs étaient causées par un manque de communication, dit Mme Zumstein. Ils ne comprennent tout simplement pas les consignes. Un autre problème, qui est culturel, c’est qu’ils ont un respect énorme pour les patrons. Des fois, ils ne comprennent pas bien, mais ils ont peur de dire qu’ils n’ont pas compris. Ils font semblant qu’ils ont compris et ils s’en vont.»

Pour surmonter cet obstacle, les Zumstein ont décidé de se concentrer sur leur apprentissage de l’espagnol, de façon à pouvoir bien communiquer avec les travailleurs.

Manuel de l’employé

Pour faciliter la communication avec leurs travailleurs, les Zumstein ont créé un manuel de l’employé, en collaboration avec l’Union des producteurs agricoles.

«En 2019, c’était la première saison qu’on appliquait notre manuel, précise Mme Zumstein. Il y a vraiment un intérêt des travailleurs, qui sont contents d’avoir quelque chose qui les guide.»

Ce manuel d’une trentaine de pages a été traduit en espagnol. Toutes les informations utiles pour les travailleurs s’y retrouvent, que l’on pense aux comportements souhaités par l’employeur, les attentes au niveau de la productivité, mais aussi la description des tâches, les conditions de travail, les aspects de santé et sécurité au travail, la politique contre le harcèlement au travail, la politique encadrant l’alcool et les drogues, etc.

«Avec ce manuel, ils savent à quoi on s’attend d’eux, explique Mme Zumstein. Ils ne se retrouvent pas dans le néant.»

Madeleine Zumstein et son frère, Jean-Marie, sont les propriétaires de la ferme La Production Barry, située à Sherrington. Ils cultivent 47 hectares d’oignons verts et de coriandre.

Attitude

Madeleine et Jean-Marie Zumstein sont sensibles au dépaysement que peuvent vivre leurs employés.

«Ils partent quatre ou cinq mois, loin de leur famille, et il y a de l’isolement qui se crée, précise Mme Zumstein. La plupart d’entre eux ont des enfants en bas âge. Je me mets dans leurs souliers et moi-même, je trouverais ça très difficile. Ils ressentent parfois de la nostalgie, ils peuvent avoir des problèmes avec leurs enfants et il y a une certaine déprime qui peut s’installer.»

En général, les producteurs maraîchers ont un grand respect pour ces travailleurs parce qu’ils comprennent l’importance de cette main-d’œuvre. Ce n’est pas une dépense, c’est un investissement.

-Madeleine Zumstein

Les Zumstein restent constamment à l’affût de ces signes de détresse chez les travailleurs.

«Je suis très à l’écoute de ça, assure Mme Zumstein. Ça parait dans leur visage quand ça ne va pas, alors je vais leur parler. Je ne peux rien faire, mais je les écoute. Aussi, tous les matins, peu importe si je suis débordée par le travail, je suis là et je dis bonjour à chacun d’eux. Ils font partie de notre équipe, mais ils font aussi partie de notre famille.»

Un événement tragique, survenu en 2017, illustre bien la qualité de la relation qui existe entre les travailleurs et l’employeur, au sein de cette entreprise.

«En septembre 2017, vers 8 h le matin, on a trouvé notre père dans la salle de bain. Il était décédé au courant de la nuit. Mon père est décédé en septembre 2017, raconte Mme Zumstein. On était encore dans les récoltes à plein régime. Nous sommes arrivés dans l’entrepôt et nous voulions arrêter toutes les machines, mais les travailleurs nous ont tous dit qu’ils allaient continuer les travaux. On voyait dans leurs yeux qu’ils nous disaient: «Ne vous inquiétez pas, on s’en occupe.». Quand nous sommes revenus en fin de journée, tout avait été fait comme il le fallait. Même qu’ils avaient fait beaucoup de choses qu’ils m’ont vu faire, mais qu’ils ne font pas habituellement. C’est l’événement le plus touchant que je n’ai jamais vécu. Moi et mon frère, on est respectés et aimés en même temps. C’est la preuve que notre façon de gérer, c’est la bonne.»