Guerre en Ukraine: un pompier de Saint-Jacques-le-Mineur raconte son expérience au front
Récit. Denis Perrier, qui est pompier à Saint-Jacques-le-Mineur depuis 2014, mais aussi militaire et policier de métier, a répondu à l’appel du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, en allant combattre au front lors d’une mission de six mois, en 2022. Il a accepté de nous partager son expérience.
« Quand le président Zelensky a fait une demande à l’international pour de l’aide, ça m’a interpellé, confie M. Perrier. Ça n’a pas d’allure de se faire envahir comme ça. Quand j’ai vu ce qui se passait, j’ai ressenti une chaleur, une boule à l’intérieur. »
M. Perrier a pensé à sa conjointe et à sa fille âgée de la vingtaine, mais l’appel pour venir en aide au peuple ukrainien était trop fort.
Expérience
Denis Perrier est policier à Montréal depuis 30 ans. Il a patrouillé 18 ans au centre-ville.
Il s’est enrôlé dans les Forces armées canadiennes en 1985, où il a été membre de la Force régulière de 1985 à 1988, au sein du 2e Bataillon du Royal 22e Régiment, avec lequel il a fait une première mission à Chypre, en 1987.
Il aurait souhaité y faire carrière, mais des problèmes de santé l’ont forcé à quitter l’armée régulière.
En 1991, il joint la Réserve de l’Armée canadienne, dont il a fait partie jusqu’en 2016. Il a notamment participé à une mission en Bosnie-Herzégovine avec les Casques bleus en 1995.
« J’en ai vécu pas mal dans ma carrière, raconte M. Perrier. En plus, j’ai été entraîné contre les Russes, pendant la guerre froide. J’ai reçu un entraînement spécifique à leurs soldats, leurs positions défensives, leur matériel, comment ils avancent. »
C’est donc tout ce bagage d’expériences qui l’a convaincu qu’il devait se rendre sur place pour combattre avec les Ukrainiens.
Le départ
Une fois sa décision prise de partir, M. Perrier a tenté tant bien que mal d’obtenir des informations auprès de l’ambassade d’Ukraine au Canada.
« C’était bien compliqué, mais après quelques semaines, j’ai reçu un semblant de courriel qui m’informait que j’étais approuvé, avec une photo d’une tente blanche à la frontière, où je devais signer mon contrat. C’était très décousu. Je m’en allais dans le no where », se souvient M. Perrier.
Il a obtenu un congé sans solde de la police et il est finalement parti le 27 avril 2022.
« C’est moi qui ai payé mon voyage et toutes mes affaires, précise-t-il. On nous demandait d’apporter un maximum d’équipement militaire, des vestes par-balle, un casque d’acier, une vision nocturne. J’ai amené ce que je pouvais. Eux fournissaient de l’équipement en fonction de ce qu’ils avaient. J’ai choisi de combattre avec un AK-47 parce que je connais cette arme et elle est fiable. »
L’arrivée
M. Perrier a d’abord atterri à Cracovie, en Polgone, avec 80 lb d’équipement sur le dos. Il est ensuite monté à bord d’un taxi qui l’a mené jusqu’à la frontière ukrainienne.
Après quelques jours passés à la frontière, il a enfin pu entrer en Ukraine.
« J’ai embarqué dans une vieille van rouillée, se remémore M. Perrier. Est-ce qu c’était des pro-russes ? Est-ce que je j’allais me faire passer ? Finalement, après avoir transféré deux ou trois fois de véhicule, j’ai passé une première nuit dans une école jusqu’à ce que quelques jours plus tard, je me retrouve devant un officier recruteur. »
Instructeur
On l’a d’abord informé qu’il ne pourrait pas combattre, puisque cette tâche était réservé aux 45 ans et moins, alors qu’il était âgé de 55 ans.
« Il manquait d’instructeurs et ils ont vu dans mon CV que j’ai été instructeur dans les Forces armées et dans la police, alors les deux premiers mois, je me suis retrouvé dans le rôle d’instructeur sur une base militaire, dans l’ouest de l’Ukraine, dit M. Perrier. J’ai monté le cours moi-même et j’ai formé environ 200 soldats provenant d’une cinquantaine de pays. Je devais leur montrer à faire la guerre et à rester en vie, en fonction de la réalité du terrain. Je leur ai ensigné à faire des tranchées, des patrouilles de combat et de reconnaissance, des ambuscades, à monter et à défaire des pièges, le champ de tir, la navigation avec carte et boussole et les opérations amphibie. »
Le front
Après deux mois au poste d’instructeur, M. Perrier en avait assez. « Je leur ai dit que si je n’allais pas au combat, je retournerais au Canada. Avec mes contacts, ils ont fini par dire oui et j’ai intégré une unité de forces spéciales que j’avais moi-même montée », raconte-t-il.
Avec son unité, Denis Perrier s’est retrouvé au cœur des combats, à l’est de la ville de Kharkiv.
« On était une unité de reconnaissance, dit-il. Il fallait qu’on s’approche des lignes ennemies. On observait les Russe et de nuit, on allait même de l’autre côté de la ligne de front. On donnait l’information à notre état-major pour que l’artillerie ukrainienne les bombarde. »
« Quand on est proches comme ça des lignes ennemies, il y a des mines et des pièges. J’ai perdu quelques confrères comme ça. D’autres ont perdu leurs jambes ou sont devenus aveugles, poursuit-il. Des fois, on était repérés et on devait engager le combat. »
Il y a un soldat ukrainien pour dix soldats russes. C’est vraiment un peuple combattif et très courageux.
Denis Perrier
Seul pendant 35 heures
À un certain moment, M. Perrier s’est retrouvé seul pendant 35 heures dans une ville pro-russes, sans communication possible avec ses confrères. Il devait surveiller une douzaine de véhicules destinés à abattre des avions et des hélicoptères.
« Je me suis fait bombarder tout le long, se rappelle-t-il. J’étais tellement sûr de mourrir que j’ai fait une vidéo sur mon téléphone pour ma blonde. J’aurais pu aller dans un bunker, mais si mes confrères étaient revenus pendant ce temps-là pour repartir… Je ne pouvais pas aller me cacher. Ils sont finalement arrivés le lendemain, à l’heure du souper. »
Blessé
M. Perrier a été blessé au front, lors d’une de ses missions.
« J’étais au volant d’un pick-up civil Warrior 1996 qui était tout le temps en panne, raconte-t-il. Nous étions cinq véhicules, dont quatre étaient embourbés dans la boue. J’étais le seul à ne pas être embourbé. En transférant l’équipement dans mon pick-up, un drone russe nous a bombardés. Le souffle a fermé le caisson du pick-up sur ma tête et j’ai perdu connaissance. »
Il a été hospitalisé pendant dix jours dans un hôpital de Kharkiv.
« La neurologue ne voulait pas que je sorte, dit-il. Ça m’a probablement savué, parce qu’il y a une autre mission que je devais faire où il y a eu plusieurs morts et des blessés graves. »
Retour
Lorsque sa rotation a pris fin, M. Perrier a décidé de rentrer à la maison. Depuis, il rêve d’y retourner, mais ce n’est certainement pour la paye, puisqu’il recevait à peine 400 $ par mois lorsqu’il était instructeur, puis entre 400 $ et 500 $ par semaine au front.
« Je suis hanté par ça, confie-t-il. Le premier mois après être revenu, je ne voulais pas être ici. Je sentais que j’avais abandonné mes frères d’armes et que je n’étais pas là pour eux. »
Malheureusement, au mois de décembre, il s’est fracturé le tibia et le péroné lors d’un accident survenu dans le cadre d’une activité de karting.
Il devait retourner au front à la mi-février, mais cet accident l’à forcé à mettre fin à son cotrat. « La porte est ouverte, mais pour ma blonde, il est hors de question que j’y retourne, conclut-il. J’attends de voir comment ça évolue. Je reprends ma petite vie quotidienne. Je suis en transition vers ma retraite de la police. J’ai ma famille et l’Ukraine dans ma tête 24 heures par jour. Je navigue dans tout ça. »