Karen Potvin: fière de continuer l’aventure de l’érablière Saint-Valentin
Entrevue – Lorsque le temps s’adoucit et que les journées rallongent, Karen Potvin sent l’appel de la nature. Le temps des sucres est arrivé. Depuis 40 ans, l’eau d’érable récoltée sur sa terre familiale est transformée en délectables douceurs à l’érablière Saint-Valentin.
L’établissement est à l’opposé du mont Saint-Grégoire, là où les rangs se croisent au milieu des champs agricoles. Caché derrière une longue haie de cèdres, il est à l’abri des grands vents qui soufflent sur la troisième ligne.
La présence de la cabane à sucre à cet endroit n’est pas un secret bien gardé. Quiconque a déjà mis les pieds à Saint-Valentin connaît ce lieu de rassemblement devenu au fil du temps la salle de réception du village.
Les plus vieux souvenirs d’enfance de Karen Potvin sont associés à ce bâtiment, construit par sa famille à la fin des années 1970. Elle se rappelle l’autobus scolaire qui la déposait à cette adresse plutôt qu’à la maison en mars et avril. Les employés se relayaient à tour de rôle pour l’aider dans ses devoirs, puisque ses parents étaient pris derrière les fourneaux ou récoltaient la précieuse sève à l’arrière de l’érablière.
Histoire
Cela fait maintenant quatre ans qu’elle a pris la direction de l’entreprise. Un défi imposant pour cette femme de 31 ans qui occupe parallèlement un autre emploi dans le milieu de la gestion agricole.
En mars et avril, elle doit consacrer chaque minute de son temps libre au roulement de l’établissement. Un défi qui l’énergise à un point tel, qu’une fois la saison des sucres terminée, elle traverse une petite période de deuil.
«C’est un stress, mais c’est un bon stress. C’est difficile à expliquer. On n’a pas le choix de suivre le beat. Je ne pourrais pas me passer de cette action», explique celle qui est épaulée par plusieurs membres de sa famille et des employés fidèles.
Héritage familial
Avant de parler de la frénésie du temps des sucres, Karen Potvin accepte de faire un retour dans son passé pour dresser un portrait de son héritage familial. Si elle a baigné dans le sirop dès sa naissance, c’est avant tout grâce à la passion de Gilles Potvin pour l’agriculture.
«Mon père aime les défis de grandeur. Il a acheté l’érablière d’une madame Grégoire en 1976. C’était très petit à l’époque. Elle n’ouvrait pas les lieux au public. C’était un endroit qui lui permettait de cuisiner pour ses proches», raconte l’acéricultrice qui entaille un millier d’érables.
Trois ans après cette acquisition, Gilles Potvin construisait avec l’aide de ses frères le bâtiment tel qu’on le connaît aujourd’hui. «Il fallait vraiment être visionnaire à l’époque, estime sa fille. Saint-Valentin est loin de tout. La salle à manger accueille jusqu’à 340 personnes.»
Pour la tradition
Née au milieu des années 1980, Karen Potvin a peu de souvenirs de cette décennie considérée comme l’âge d’or des érablières. Certains employés, toujours parmi l’équipe, décrivent des soirées festives où l’alcool coulait à flots dans le stationnement. Les gens se déhanchaient sur la piste de danse jusqu’au milieu de la nuit.
Aujourd’hui, le temps des sucres est toujours le moment des grands rassemblements familiaux. Les clients s’y donnent rendez-vous d’une année à l’autre.
«On revoit souvent les mêmes visages. La semaine, il y a de nombreux travailleurs des environs. Le week-end, nous avons des gens de la Rive-Sud, de Montréal et des États-Unis», souligne celle qui dirige une trentaine d’employés.
Pas besoin de se casser la tête pour satisfaire la clientèle qui recherche toujours les saveurs traditionnelles. «On se rend compte que les gens sont attachés à nos recettes. Ils remarquent les moindres petits changements. On essaie de garder les mêmes produits et les mêmes marques pour conserver nos goûts», explique Mme Potvin.
Attraits
Alors que plusieurs entreprises attirent leur clientèle avec d’imposantes fermettes, de longues promenades en carrioles, des parcs d’amusement pour enfants ou des jeux suspendus dans les arbres, la gestionnaire préfère opter pour la sobriété.
«Notre focus est sur la nourriture et le maintien de la qualité. C’est beau les animaux, mais il faut s’en occuper. Il y a une question de bien-être pour ces bêtes qui me préoccupe. Cela ne m’intéresse pas», confesse-t-elle.
L’économiste de formation ne manque toutefois pas d’idées en ce qui concerne le développement des affaires. Au contraire, elle a bien l’intention de profiter de son environnement exceptionnel pour offrir une expérience enrichissante à sa clientèle.
«Nous voulons cultiver du houblon autour de l’érablière, annonce Karen Potvin. Cela nous permettrait de fabriquer de la bière et cela ressemblerait davantage à nos valeurs familiales qui tournent autour de l’agriculture.»
«Nous pourrions expliquer le procédé de brassage à la clientèle, précise-t-elle. En plus, les champs seraient très jolis à l’été pour les photos de mariage.»
Rapport
Impossible de passer sous silence le débat de l’heure dans le milieu de l’acériculture. À la mi-février, l’ancien sous-ministre Florent Gagné a déposé un rapport qui recommande principalement de mettre fin au contingentement dans le secteur du sirop d’érable et d’ouvrir davantage l’industrie au libre marché.
Une proposition accueillie froidement par les acériculteurs québécois.
Karen Potvin partage leur opinion. Elle estime que les changements proposés seraient catastrophiques pour l’industrie. Elle pense que la meilleure manière de concurrencer le sirop de l’extérieur de la province repose sur la structure déjà établie.
«La Fédération des producteurs acéricoles du Québec a investi en recherche et développement et fait une bonne promotion du produit. L’argent pour ce faire provient de l’ensemble des producteurs. Chaque acériculteur ne peut pas investir de manière significative dans ces deux secteurs. En travaillant collectivement, nous nous différencions et nous sommes plus productifs», croit-elle.
«Seule la Fédération peut fournir du sirop en tout temps et à grand volume aux différents marchés. Les acheteurs ne veulent pas courir après chaque acériculteur pour obtenir leur produit. Je crois que le rapport devrait respecter la volonté des producteurs qui ont fondé ce système de façon démocratique. Je doute de la capacité de compréhension du secteur de la part de Florent Gagné. On regarde son parcours et on a un sérieux doute sur son éthique de travail», conclut-elle.