Leur vie dans le Grand Nord

AVENTURE – Pendant qu’on se prélasse sur la terrasse et dans la piscine, là où Emma Ammerlaan et Hans Haldemann vivent, il fait sous zéro la nuit. Ce qu’ils ont en commun: ils travaillent tous deux dans le Grand Nord. Ils nous racontent leur quotidien… hors du commun!

Infirmière clinicienne native de Saint-Valentin, Emma Ammerlaan a obtenu son bac en sciences infirmières en 2014 à l’Université de Sherbrooke. C’est un professeur de stage qui lui a donné envie de se lancer dans cette aventure.

«Elle nous disait qu’elle était allée travailler dans le Nord, dit-elle. Je trouvais ça super intéressant. J’ai toujours eu de l’intérêt pour les premières nations et pour cette région.»

Embauchée à Kuujjuaq en juillet 2015, Mme Ammerlaan travaille tant à l’hôpital qu’en clinique. Elle dessert sept villages pour un total d’environ 6000 personnes. Comme il n’y a pas de route qui relie les villages entre eux, elle doit aller chercher les patients en avion médical appelé Médévac. Le plus près est situé à 20 minutes de vol et le plus éloigné, à une heure et demie.

«Dans les villages, il n’y a pas de médicaments, explique Mme Ammerlaan. Il y a une ou deux infirmières, mais pas de médecin. Même pour une prise de sang, il n’y a pas d’installations pour les analyser.»

Difficile

Ses conditions de travail sont parfois difficiles même si elle a reçu une formation avant son départ pour bien la préparer. Cette communauté vit avec de nombreux problèmes sociaux, dont le suicide et l’alcoolisme. Et ce même si une caisse de 24 bouteilles de bière coûte 100$.

«Toute la lourdeur des choses, le côté psychiatrique, les suicides, c’est très présent et ça nous draine beaucoup émotivement», dit celle qui a été confrontée à une pandémie de suicides.

De plus, l’ensemble de la communauté est à la merci de la météo qui peut rendre les communications très difficiles, sans compter que l’avion-cargo qui apporte les vivres, rebrousse parfois chemin en raison du mauvais temps.

«S’il vente trop, s’il fait trop froid ou s’il neige trop, même le téléphone flanche, explique Mme Ammerlaan. L’an passé, juste avant les Fêtes, nous n’avons pas eu de lait ni de yogourt et de fromage à cause de la température. On souhaite chaque semaine que le cargo entre!»

La route de glace

Opérateur de machinerie lourde, Hans Haldemann construit et entretient depuis environ sept ans une route de glace qui permet aux entreprises minières d’accéder à des gisements situés au nord de Yellowknife dans les Territoires du Nord-Ouest.

À bord de sa niveleuse, le travailleur originaire de Napierville fabrique littéralement une route sur les lacs gelés pour permettre aux camions de circuler et d’approvisionner les mines, surtout en diesel, puisque toute la machinerie fonctionne grâce à ce carburant.

«Ils brûlent entre 50 000 et 60 000 litres de diesel chaque jour», explique M. Haldemann.

Il aménage aussi ce qu’il appelle des «portages». Il s’agit des jonctions entre les différents lacs et la terre ferme, pour que les camions puissent poursuivre leur route sans encombre. M. Haldemann en construit 27 sur la portion du chemin de glace dont il est responsable, entre le lac Dome et le lac Drybones.

«Le chemin de glace, j’aime vraiment ça, avoue-t-il. Je suis là du début jusqu’à la fin, de fin décembre jusqu’au mois de mars.»

Danger

Il ne considère pas son travail comme étant particulièrement dangereux. La sécurité s’est beaucoup améliorée comparativement aux pionniers qui ont ouvert cette route dans les années 1970.

«Presque tous les hivers, il arrive qu’une roue perce la glace, raconte-t-il. Quand j’ai commencé, j’avais des sueurs, mais j’ai été chanceux.»

Heureusement, un hélicoptère et un infirmier les attendent au camp de base en cas de pépin. De plus, ils doivent communiquer avec le quartier général toutes les deux heures sans quoi, on part à leur recherche.

«Le dernier mort remonte à 2003, dit-il. Un gars est tombé à l’eau avec sa dameuse et son cœur a lâché.»

Malgré tout, il peut arriver que les travailleurs doivent attendre de nombreuses heures qu’on vienne les chercher, surtout par mauvais temps.

«Tous les matins, ils nous rappellent de nous paqueter un gros lunch, dit M. Haldemann. Je suis déjà resté pris pendant 12 heures sur un portage.»

Une vie satisfaisante

Malgré tout, Mme Ammerlaan et M. Haldemann apprécient leur vie dans le Grand Nord. À Kuujjuaq, on trouve un cinéma et un gym. Le camp de base dans les Territoires du Nord-Ouest comprend pour sa part un petit gym et un téléviseur. On y sert de très bons repas, semble-t-il. La consommation d’alcool et de drogue est formellement interdite.

«Si tu as un accident, c’est pipi test!» avertit M. Haldemann.

«Mon coup de cœur, c’est vraiment le plein air, confie l’infirmière. Je me suis acheté un quatre roues et je vais aller explorer la toundra. On peut aussi faire du traîneau à chiens, du trekking et cueillir des bleuets. Quand on se déplace en Médévac, il arrive qu’on vole au travers des aurores boréales.»

Dans les Territoires du Nord-Ouest, les animaux sauvages sont omniprésents, de même que les aurores boréales.

Leurs salaires respectifs sont intéressants de même que leur horaire de travail. Mme Ammerlann a droit à quatre mois de vacances par année, tandis que M. Haldemann obtient deux semaines de congé après avoir travaillé autant, à raison de 12 heures par jour.

«Une fois que tu as travaillé là-bas, quand tu reviens ici, c’est assez difficile de retrouve des conditions aussi bonnes», dit l’homme.

Étonnamment, le froid ne semble pas affecter, la jeune infirmière contrairement à M. Haldemann.

«Cet hiver, il a fait – 40, – 50 degrés, mais c’est sec, donc c’est super confortable, dit-elle. Ça ne nous empêche pas d’aller dehors.»

Kuujjuaq 101

2 h 30

Le temps de vol entre Montréal et Kuujjuaq.

2 500 $

Le coût d’un billet d’avion pour se rendre à Kuujjuaq.

15 $

Le prix d’un contenant de deux litres de jus d’orange.

60 %

La proportion des habitants âgés de 30 ans et moins.

La route de glace 101

1- À la fin du mois de décembre, les travaux débutent, alors que les lacs sont gelés. Des éclaireurs doivent d’abord mesurer l’épaisseur de la glace.

2- Si elle est suffisamment épaisse, un petit chasse-neige dégage la surface des lacs pour permettre à la glace de bien geler.

3- Des gens sont chargés d’arroser la glace à l’aide de pompes embarquées dans de vieux autobus scolaires. Ils puisent l’eau dans des trous creusés à même le lac sur lequel ils construisent la route.

4- Les différents portages sont ensuite construits, permettant de circuler d’un lac à l’autre.

5- Lorsque la construction du chemin de glace est complétée, il faut l’entretenir en enlevant la neige tous les jours, inlassablement, jusqu’à sa fermeture au mois de mars.