Soupir de soulagement pour les producteurs maraîchers
Les producteurs maraîchers de la région ont poussé un soupir de soulagement en apprenant que les travailleurs agricoles étrangers seraient exemptés des changements que le gouvernement conservateur veut apporter au Programme des travailleurs étrangers temporaires. En raison d’une pénurie de main-d’œuvre dans les champs, plusieurs producteurs n’arriveraient pas sans l’aide des 4000 employés saisonniers qui débarquent dans les champs de la Montérégie pour l’été.
Éric Van Winden, qui est un des propriétaires de la ferme maraîchère Delfland, à Napierville, est de ceux qui se réjouissent de l’exclusion des travailleurs agricoles du projet de réforme. À la ferme, ils en sont à la troisième génération à travailler la terre et à produire différents types de légumes bien de chez nous, comme la laitue pommée ou l’échalote française. Il est aussi vice-président du Syndicat des producteurs maraîchers de la région de Saint-Jean-Valleyfield, en plus d’être administrateur d’une nouvelle entité à portée provinciale, l’Association des producteurs maraîchers du Québec.
La ferme Delfland fait partie des gros joueurs et elle emploie environ 150 personnes, dont 80 travailleurs agricoles étrangers, qui proviennent majoritairement du Guatemala et du Mexique.
«Il faut être optimiste. Pour cette année, on est O.K., tous mes travailleurs sont déjà arrivés, explique M. Van Winden. De toute façon, on doit déjà prouver à Service Canada qu’on n’est pas capable de recruter des travailleurs ici et on doit monter un dossier pour pouvoir participer au programme et pour engager des travailleurs agricoles étrangers. On sait qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre. La réforme se voulait un resserrement des conditions pour avoir accès au programme, mais pour le moment, on en est exclus.»
Le gouvernement de Stephen Harper a annoncé, dans son plus récent Plan d’action économique, sa volonté de procéder à une réforme du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET), de façon à ce que les emplois disponibles soient d’abord offerts aux Canadiens.
Suivant cette réforme, les employeurs devront en outre intensifier leurs efforts de recrutement auprès de la population locale, avant de recourir à de la main-d’œuvre étrangère, notamment en augmentant la durée et la portée des postes affichés. Les travailleurs agricoles seraient toutefois exemptés de cette réforme du programme.
«Les réformes ne les concerneront pas, car il existe de vraies pénuries de main-d’œuvre importantes dans ces domaines et les postes disponibles sont véritablement temporaires», peut-on lire sur le site Internet de Ressources humaines et Développement des compétences du Canada.
Mario Isabelle, de la ferme C. Isabelle et fils inc., qui produit notamment des carottes et des pommes de terre pousse aussi un soupir de soulagement.
«On est très très contents. L’agriculture au Canada en entier aurait mangé une méchante claque! Déjà qu’on n’a pas le climat idéal, il ne faut pas se mettre des bâtons dans les roues en plus, affirme-t-il. Si l’agriculture en Ontario s’est développée plus rapidement qu’au Québec, c’est parce qu’ils ont décidé d’engager des travailleurs agricoles étrangers bien avant nous. Ça prend du monde! Même aux États-Unis il y a une pénurie de main-d’œuvre pour travailler dans les champs. L’agriculture, ce n’est pas une job de p’tit gars. Ça prend de la force physique, de la dextérité. Vous serez peut-être même pas capable de le faire, sarcler à quatre pattes.»
Un double discours estiment les agriculteurs
Éric Van Winden croit que bien que le fédéral veuille restreindre l’embauche de travailleurs étrangers, les récentes réformes de l’assurance-emploi provoquent un effet contraire et amplifie la pénurie de main-d’œuvre saisonnière et par le fait même, le recours à de la main-d’œuvre étrangère.
«Le gouvernement exerce des pressions pour restreindre le nombre de travailleurs saisonniers. Il cherche à forcer les gens à être à l’emploi l’hiver aussi. En agriculture, ce n’est pas possible, donc les gens, au lieu de venir travailler chez moi l’été et de devoir se trouver autre chose l’hiver, sous peine de ne pas recevoir de l’assurance-emploi, vont préférer se trouver un emploi à l’année plutôt que saisonnier. Ça crée de l’incertitude chez les travailleurs et on a encore davantage de difficulté à embaucher des gens d’ici, donc on doit absolument avoir recours aux travailleurs étrangers.»
Selon M. Van Winden, l’embauche de travailleurs agricoles étrangers ne provoque pas les effets négatifs qu’on leur attribue habituellement. «Avant, les gens disaient que c’était des voleurs de jobs, mais dans les faits, leur présence permet de créer des emplois pour les gens d’ici. Le fait d’avoir accès à de la main-d’œuvre pour travailler dans les champs me permet de cultiver des légumes qui nécessitent un travail manuel. La laitue, par exemple, doit être cueillie à la main. Si je n’avais pas accès à cette main-d’œuvre, je serais obligé de produire autre chose, qui se récolte de façon mécanisée et qui ne nécessite pas le travail de manœuvre, comme le maïs ou le soja», explique-t-il.
«Pour encadrer les travailleurs étrangers, j’engage des chefs d’équipe et le type de légumes que ça me permet de cultiver implique que je doive aussi engager des mécaniciens, des chauffeurs de tracteur, des agronomes, qui sont tous des postes occupés par des gens d’ici. Si tu enlèves les travailleurs étrangers, je dois couper les jobs offertes aux Canadiens», d’ajouter le producteur.
M. Isabelle partage cette opinion. «Si on ne peut pas avoir accès à des travailleurs agricoles étrangers, il y a des cultures qu’on va lâcher carré! Dans la pomme de terre, je pourrais me mécaniser un peu, mais mon voisin, ça lui prend 100 hommes pour couper la laitue. Ou bien on supporte notre agriculture, ou bien on va devoir acheter nos produits d’ailleurs, de la Californie, parce qu’on ne pourra plus les produire ici. Ce n’est pas juste pour moi, c’est pour l’agriculture du Québec au complet.»
Le bon côté des choses
On entend souvent parler des aspects négatifs en lien avec l’embauche de travailleurs agricoles étrangers, mais M. Van Winden croit qu’il faut aussi parler des bons coups. «Les travailleurs sont habituellement deux par chambre. Ils habitent dans des logements qui doivent être inspectés chaque année. Des fois, des fermes sont exclues du programme pendant un certain temps, parce qu’elles ne respectent pas les règles. Comme dans tous les milieux, il y a des récalcitrants, mais il faut aussi parler des bons coups, soutient M. Van Winden.
Notre doyen, ça fait 18 ans qu’il travaille pour nous et il est fier de dire qu’il a envoyé ses trois enfants à l’université. Il y a des histoires d’amitié et des histoires d’amour aussi entre les Québécois et les travailleurs étrangers», raconte-t-il.
«Ils travaillent beaucoup et ils ne sortent que très peu, même s’ils ont un autobus à leur disposition et pourraient très bien le faire. Ils gardent leur argent pour leur retour à la maison. Parfois nous organisons des sorties. L’an dernier, on les a amenés aux feux d’artifice. Au temps de l’année où c’était plus calme, on a amené un groupe d’entre eux pour une visite de la ville de Québec, avec un tour guidé en espagnol, qu’ils ont beaucoup apprécié d’ailleurs», ajoute M. Van Winden.