Un travail de moine échelonné sur dix ans: il reconstruit la ferme de son enfance dans son sous-sol
PORTRAIT – Denis Martin a grandi sur une ferme laitière, à Lacolle. Menuisier de profession, il cherchait une idée originale pour occuper son temps libre. Il a donc commencé à reproduire, à échelle réduite, la maison de son enfance. Dix ans plus tard, le projet a pris de l’ampleur et le voilà avec une réplique complète de la ferme familiale dans son sous-sol.
C’est une visite guidée privilégiée qu’offre Denis Martin aux lecteurs du Coup d’oeil. À ce jour, seuls les membres de sa famille et quelques amis proches ont eu l’occasion d’apprécier le résultat de toutes ces heures passées par l’homme à reproduire le plus fidèlement possible la ferme familiale sur laquelle il a grandi dans les années 1940. Un projet officiellement complété à l’automne 2019.
Pièce maîtresse
Au départ, il n’était question que de faire la maison familiale, la pièce maîtresse du projet. On y compte plus d’une dizaine de pièces, dont six chambres à l’étage. Au rez-de-chaussée, d’autres chambres, une salle à manger, deux cuisines (l’une pour l’été, l’autre pour l’hiver) et une pièce pour mettre le bois de chauffage. Chaque division a été recréée le plus fidèlement possible.
Il suffit de soulever le toit pour en apprécier les détails. De la chaise berçante des grands-parents aux meubles dans les chambres à coucher en passant par les trois fours à bois répartis dans la maison, chaque objet a été travaillé à la main. De la patience, oui, mais aussi beaucoup de minutie.
Mémoire
Ce dernier avoue toutefois que la couture n’est pas son domaine de prédilection. Il s’est donc tourné vers son épouse et sa belle-sœur pour fabriquer tous les éléments en tissu. Avant son décès, à l’âge de 99 ans, la mère de M. Martin a aussi contribué grâce à ses souvenirs. «Il y a quelques informations dont je n’étais pas certain, alors je lui demandais», explique-t-il.
Parce que, faut-il le souligner, le projet a été fait entièrement à partir de la mémoire de M. Martin. Ce dernier n’a rien laissé au hasard, pas même le choix des photos dans les cadres affichés sur les murs. Il s’agit de véritables portraits miniaturisés des ancêtres de la famille. Au final, la construction de la maison a nécessité sept années de travail. «À temps perdu, l’hiver», précise l’artiste.
Alors pourquoi s’arrêter en si bon chemin? Devant l’intérêt des membres de sa famille, les souvenirs que le projet faisait remonter à la surface et sa passion pour les maquettes, Denis Martin a choisi de pousser le concept encore plus loin en se lançant dans la fabrication de tous les autres bâtiments de la ferme.
La ferme
C’est à ce moment que le projet a pris une nouvelle ampleur. Retraité, il a décidé d’utiliser la pièce qui lui servait autrefois de bureau pour accueillir les huit bâtiments présents sur la ferme. Afin de respecter la proportionnalité entre la maison et les autres structures, il a toutefois dû abattre un mur de son sous-sol et ajouter une poutre de soutien afin de gagner quelques pieds manquants.
Et puis, pas question de déposer le tout sur le plancher. «J’ai construit un autre plancher pour que ce ne soit pas à terre. Ça n’aurait pas été beau si on avait été au même niveau», explique-t-il. Tout a été réfléchi. La structure inclut d’ailleurs un espace au centre qui permet aux visiteurs d’aller admirer chaque bâtiment de près en soulevant les toits pour apprécier les secrets qu’ils renferment.
Pas nostalgique
Grâce à un système de poulies, le dessus de l’étable se soulève et dévoile, à titre d’exemple, une quinzaine de vaches laitières ainsi que quelques veaux. Dans l’écurie, on y voit l’avoine et l’orge qui servaient à nourrir les animaux. Dans la laiterie, c’est le système de réfrigération mis en place avant l’arrivée de l’électricité et impliquant des cubes de glace coupés dans la rivière qui retient l’attention.
Il y a aussi le poulailler et la porcherie. «À l’époque, c’était comme ça. On avait tous les animaux pour se nourrir», rappelle celui qui est l’aîné d’une famille de sept enfants. Et bien sûr, l’immense jardin de sa mère, toujours fidèle aux proportions de l’époque. «C’est pas croyable les conserves qu’elle faisait!», se souvient avec amusement M. Martin qui ne se décrit toutefois pas comme un être nostalgique.
Peinture et antiquités
Cela dit, Denis Martin ne s’est pas contenté de construire la ferme. Il a aussi décidé de l’animer afin de bien représenter la vie de l’époque. Plusieurs petits personnages ont été disposés ici et là illustrant les agriculteurs au travail. Certaines pièces de machinerie, comme des tracteurs, ont été dégotés à l’occasion d’expositions agricoles ou auprès de collectionneurs.
Ce qu’il ne parvenait pas à trouver, il le fabriquait. Étonnement, ce qui a été le plus difficile pour lui aura été de peinturer les murs de la pièce afin de représenter le décor entourant la ferme. Il a même pris des cours pour s’assurer de réaliser un travail à la hauteur du reste du projet. Les connaisseurs reconnaîtront à l’horizon le mont Sutton ou encore les montagnes du Vermont.
On y voit également le train du Canadien National. «Notre ferme était près de la frontière, sur la 223. La maison a beaucoup changé depuis et il y a juste le bâtiment rouge [l’écurie] qui existe encore», souligne Denis Martin ajoutant toutefois fièrement que la ferme, vendue en 1963, a passé par les mains de plusieurs propriétaires avant d’être rachetée, récemment, par un membre de la famille.
D’ailleurs, pour la petite histoire, Denis Martin n’a jamais envisagé prendre le relais de la ferme familiale. «J’aime beaucoup la nature. Je ne voudrais pas vivre en ville, mais pas de là à prendre une ferme», dit-il. Et si son père avait fait le choix de vendre la ferme, c’est en raison des changements associés à l’agriculture dans les années 1960. «Il aurait fallu qu’il prenne de l’expansion», explique-t-il.
Fierté familiale
Plusieurs membres de la famille Martin ont eu l’occasion de voir le travail réalisé par le menuisier à la retraite et s’en disent impressionnés. À la fois père et grand-père, ce dernier s’est fait un bonheur de présenter l’évolution de son projet aux plus jeunes générations. «Ils sont là avec le cellulaire, prennent des photos. Ils sont intéressés», mentionne-t-il fièrement au sujet de ses six petits-enfants.
Il faut dire que le talent de M. Martin est bien connu dans la famille. Maintenant que son projet de ferme miniature est terminé, il travaille à la fabrication de meubles pour son petit-fils. Il envisage également de se lancer dans la construction d’une nouvelle table de cuisine pour sa résidence. Il y a aussi ce projet de meubles Louis XV qu’il souhaite terminer après plusieurs années de pause.
Bref, les projets ne manquent pas. «Faut que je m’occupe!», glisse-t-il dans la conversation rappelant au passage que la passion et le temps permettent de réaliser des choses extraordinaires.