Pro-choix et pro-vie préparent la suite de la bataille sur le droit à l’avortement

CHARLESTON, W.Va. — Un organisme texan qui soutient financièrement des femmes voulant mettre fin à une grossesse a suspendu ses activités samedi afin d’évaluer les risques légaux de ses opérations. L’unique clinique d’avortement du Mississippi a continué de recevoir des patientes dans l’attente de recevoir un avis de dix jours lui ordonnant de cesser ses activités. Puis, à travers les États-Unis, des élus ont promis de tout faire pour protéger le droit des femmes d’avoir accès à un avortement.

Au lendemain de la décision de la Cour suprême américaine d’invalider l’arrêt Roe c. Wade, qui protégeait le droit constitutionnel des femmes d’avoir accès à l’avortement, des manifestations des vigiles de prière ont pris naissance partout à travers les États-Unis. Au même moment, des États s’activaient à interdire l’avortement sur leur territoire alors que les groupes pro-choix et pro-vie se préparaient à la suite de la bataille autour de la souveraineté des femmes sur leur propre corps.

Au Texas, Cathy Torres, coordonnatrice du Frontera Fund, qui aide financièrement des femmes voulant interrompre une grossesse, affirme que la peur et la confusion règnent dans la vallée du Rio Grande, près de la frontière mexicaine, où de nombreuses personnes vivent sans statut légal.

Mais l’angoisse prend désormais une autre forme alors que l’on ne sait toujours pas comment la loi antiavortement sera appliquée. La loi texane interdit toute interruption de grossesse dès la conception. D’après le texte légal, toute personne qui aide une patiente à subir un avortement peut se voir imposer une amende et les médecins qui pratiquent des avortements peuvent être passibles de la prison à vie.

«Nous sommes un fonds qui aide les femmes de couleur qui seront les premières à être criminalisées», mentionne Mme Torres en ajoutant que plusieurs fonds semblables ont suspendu leurs activités dans l’attente de trouver une manière de redémarrer de manière sécuritaire.

Au Mississippi, la directrice de la seule clinique d’avortement de l’État, Tyler Harden, a passé ses journées de vendredi et samedi à communiquer avec toutes les patientes ayant déjà un rendez-vous chez Planned Parenthood Southeast. Elle devait les rassurer en leur expliquant que la clinique peut poursuivre ses activités jusqu’à la fin d’un avis de 10 jours que le procureur général de l’État doit d’abord faire publier pour signifier la décision de la Cour suprême.

Le Mississippi va interdire l’avortement, sauf dans le cas d’une grossesse qui met en danger la vie de la mère ou dans le cas d’une grossesse liée à une affaire d’agression sexuelle rapportée aux autorités. En conférence de presse vendredi, le président de la Chambre du Mississippi, le républicain Philip Gunn, a déclaré qu’il s’opposerait à l’ajout d’une autre exception pour les grossesses liées à des cas d’inceste. Il a ajouté: «Je crois que la vie commence dès la conception».

Tyler Harden affirme fournir de l’information aux femmes sur des fonds d’aide pour leur permettre de voyager dans un autre État afin d’avoir accès à un avortement. Cette pratique avait déjà cours, mais elle risque de se compliquer puisque plusieurs États voisins s’apprêtent aussi à interdire l’avortement. C’est notamment le cas de l’Alabama. 

Actuellement, la Floride est l’État «refuge» le plus près, souligne Mme Harden, «mais nous savons très bien que ça pourrait ne pas durer».

Dans le cadre du congrès national du «droit à la vie», à Atlanta, le directeur de l’éducation et de la recherche de cette organisation, Randall O’Bannon, a mis en garde les participants contre la prochaine étape de la lutte qui devra se faire, selon lui, dans la propre demeure des femmes.

«Alors que Roe s’en va dans la poubelle de l’histoire et que les États obtiennent le pouvoir de restreindre l’avortement, voici où la bataille va se déplacer au cours des prochaines années, a-t-il soutenu. La nouvelle menace moderne est l’avortement chimique ou médical à partir d’une pilule commandée en ligne et livrée directement à la porte d’une femme.»

Des manifestants en colère

Pour une deuxième journée de suite, des manifestations ont éclaté dans plusieurs villes comme Los Angeles, Oklahoma City, ou Jackson. 

En Californie, les manifestants sont sortis dans plusieurs villes, mais à Los Angeles, ils se comptaient par centaines, marchant et scandant des slogans au centre-ville comme «mon corps, mon choix» ou «avortons la cour».

La foule était bien plus modeste à Oklahoma City, où une quinzaine de personnes se sont rassemblées devant le Capitole de l’État. L’Oklahoma est l’un des 11 États où aucun service d’avortement n’est offert et son gouvernement a adopté l’une des lois les plus restrictives du pays en mai dernier.

«Je suis triste, je suis en colère, c’est difficile de décrire le sentiment qui m’habite en ce moment», a confié Marie Adams qui a dû subir deux avortements en raison de grossesses ectopiques. Elle a qualifié cet enjeu de «très personnel».

«La moitié de la population des États-Unis vient tout juste de perdre un droit fondamental, a-t-elle résumé. On doit se manifester et le dénoncer haut et fort.»

Callie Pruett, qui escortait bénévolement des patientes à la seule clinique d’avortement de Virginie occidentale jusqu’à ce que les opérations cessent à la suite de la décision de vendredi, veut maintenant travailler à aider les gens à s’inscrire sur la liste électorale. Elle espère ainsi contribuer à faire élire des politiciens favorables au droit à l’avortement.

La directrice générale de l’organisme Appalachians for Appalachia ajoute qu’elle cherchera aussi à obtenir du financement pour la création d’un réseau d’entraide pour permettre aux patientes d’avoir accès à un avortement à l’extérieur de leur État. 

«Il faut créer des réseaux de gens prêts à accompagner des femmes au Maryland, dans le District de Columbia, explique-t-elle. Ce genre de mobilisation locale nécessite de la coordination à un niveau jamais vu depuis près de 50 ans.»

La décision de la Cour suprême risque de mener à l’interdiction de l’avortement dans près de la moitié des États du pays.

Depuis l’annonce de la décision, des cliniques ont mis fin à leurs activités en Arizona, en Alabama, en Arkansas, au Kentucky, au Missouri, au Dakota du Sud, en Virginie occidentale et au Wisconsin. Les femmes devaient déjà composer avec une quasi-interdiction en Oklahoma et une interdiction après six semaines de grossesse au Texas.

En Ohio, la majorité des avortements sont interdits dès la détection d’un battement cardiaque depuis qu’un juge fédéral a annulé une injonction qui rendait la loi inapplicable depuis près de trois ans.

Une autre loi permettant l’avortement qu’en de rares exceptions a été remise en vigueur en Utah à la suite de la décision de la Cour suprême. L’association Planned Parenthood de l’Utah conteste la loi devant le tribunal parce que celle-ci violerait la constitution de l’État, selon l’organisme.

Au Minnesota, le gouverneur Tim Walz a juré de s’ériger en rempart contre «toute législation qui viendrait s’attaquer à la liberté reproductive», a-t-il déclaré. Son État, qui partage une frontière avec l’Ontario et le Manitoba, permet librement aux femmes d’avoir recours à l’avortement. Le gouverneur Walz a même signé un décret qui protège les femmes subissant un avortement au Minnesota contre toute poursuite dans d’autres États. Il promet aussi de refuser toute demande d’extradition de personnes accusées de crimes liés à la santé reproductive si les gestes reprochés ne sont pas interdits au Minnesota.

Par ailleurs, la seule clinique d’avortement du Dakota du Nord, à Fargo, a annoncé son intention de déménager de l’autre côté de la rivière, au Minnesota. La propriétaire de la clinique pour femmes de Red River, Tammi Kromenaker, a indiqué samedi avoir déjà trouvé un local à Moorhead, à moins de trois kilomètres, sans donner plus de détails.