Affaire des deux Michael: analyse de prétentions chinoises par une instance du Canada

OTTAWA — Une instance fédérale qui observe les cas d’ingérence étrangère dans les affaires canadiennes a identifié ce qui semblait être une campagne d’information coordonnée par les médias d’État de la Chine pour contrôler le message à propos du retour de Michael Kovrig et de Michael Spavor au Canada.

Mécanisme de réponse rapide du Canada (MRR), une unité de coordination établie en 2018, a constaté que la campagne d’information semblait aussi destinée à semer la confusion ou le doute au Canada et à l’étranger sur ce que les deux Michael faisaient en Chine avant leur mise en détention à la fin de 2018.

La Presse Canadienne a utilisé la Loi sur l’accès à l’information pour obtenir l’analyse faite par MRR sur les événements qui ont créé une tension géopolitique entre Ottawa et Pékin pendant près de trois ans. Plusieurs parties du document, jugées trop sensibles pour être diffusées, ont été caviardées.

Le Canada a arrêté Meng Wanzhou, cadre supérieure de la société de télécommunications chinoise Huawei, en décembre 2018 à la demande des États-Unis, où elle faisait face à des accusations liées aux sanctions américaines contre l’Iran. Cette décision a clairement provoqué la colère de Pékin, et les deux Michael, des Canadiens qui travaillaient en Chine, ont été arrêtés peu après sur des accusations de mise en danger de la sécurité nationale, une décision largement considérée comme des représailles contre Ottawa.

Kovrig et Spavor ont tous deux été reconnus coupables d’espionnage en 2021 par des tribunaux chinois, à huis clos. Le Canada et de nombreux alliés ont déclaré que le processus équivalait à une détention arbitraire sur de fausses accusations.

Les États-Unis ont finalement conclu un accord de poursuite différée dans le cas de Meng Wanzhou, autorisant sa libération, et la Chine a peu après autorisé les deux Michael à rentrer au Canada le 25 septembre dernier.

L’analyse du 28 septembre de MRR a identifié des reportages de médias d’État chinois qui affirmaient que les deux Michael avaient avoué leur culpabilité, avaient été libérés sous caution pour des raisons médicales et que le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) les avait par inadvertance révélés comme étant des espions canadiens. 

L’unité MMR, basée à Affaires mondiales Canada, affirme avoir détecté pour la première fois le discours chinois sur les deux Michael le 26 septembre, lorsque le Global Times, un tabloïd des médias appartenant à l’État, a publié un long article en anglais avec le titre citant une source: «Deux Canadiens avouent leur culpabilité, ont obtenu une caution pour des raisons médicales avant de quitter la Chine. »

L’analyse de MRR note que l’article indique que les deux hommes ont été libérés sous caution, ont avoué leurs crimes et ont écrit des lettres de confession et de repentir de leur propre main et ont quitté la Chine conformément aux procédures légales. 

Meng Wanzhou a quant à elle quitté un tribunal de la Colombie-Britannique le 24 septembre après qu’un juge ait accepté une ordonnance de libération qui retirait la demande d’extradition des États-Unis contre elle. Cela a suivi sa comparution virtuelle devant un tribunal de New York, où elle a plaidé non coupable de toutes les accusations et un juge a signé l’accord de poursuite différée.

À l’époque, Nicole Boeckmann, procureure au district de New York, a déclaré qu’en concluant l’accord de poursuite différée, Mme Meng avait assumé la responsabilité de son rôle dans la perpétration d’un stratagème visant à frauder une institution financière mondiale. Selon Mme Boeckmann, les aveux de Meng Wanzhou dans un exposé des faits confirmaient qu’elle avait fait de multiples fausses déclarations graves à un cadre supérieur d’une institution financière concernant les opérations commerciales de Huawei en Iran dans le but de préserver la relation bancaire de l’entreprise avec l’institution.

Le même jour, des comptes rendus d’actualités sur la plateforme de médias sociaux chinois WeChat ont rapporté que Meng Wanzhou comparaîtrait devant les tribunaux américains et canadiens et pourrait signer un accord de poursuite différée qui lui permettrait de retourner en Chine, selon l’analyse de MRR.

Cette analyse ajoute que les comptes rendus canadiens de WeChat ont rapporté qu’elle plaiderait coupable à des accusations ou admettrait avoir commis des actes répréhensibles en trompant une institution financière mondiale. Les médias d’État chinois n’ont inclus aucune de ces discussions ou informations dans leurs reportages officiels de la libération de Mme Meng.

Selon les observations de RRM, la plupart des mentions de ce que Meng Wanzhou avait accepté dans l’accord de poursuite différée ont été supprimées.

Les utilisateurs de WeChat verraient un message d’erreur du développeur de la plate-forme Tencent indiquant: « Impossible d’afficher ce contenu, car il enfreint la réglementation ». MRR note que ce type de message n’apparaît que lorsque Tencent ou la Cyberspace Administration of China supprime le contenu des comptes de nouvelles. 

L’ambassade de Chine au Canada n’a pas répondu à une demande de commentaires sur le rapport de MRR.

Le Citizen Lab de l’Université de Toronto affirme que la Chine dispose d’un vaste système de censure qui comprend des restrictions sur Internet, sur des applications et sur les médias. Les plates-formes Internet opérant en Chine doivent respecter les lois et réglementations locales en matière de contrôle du contenu, indique le laboratoire de recherche.

Fen Hampson, professeur d’affaires internationales à l’Université Carleton, a suggéré que les actions de la Chine concernant le dialogue en ligne sur les événements de septembre dernier indiquent que les Chinois ne sont pas très sophistiqués et peuvent être assez maladroits.  

Fen Hampson est co-auteur avec le journaliste de la Presse Canadienne Mike Blanchfield du livre « The Two Michaels: Innocent Canadian Captives and High Stakes ». Espionnage dans la cyberguerre américano-chinoise. »