Décarboner les opérations militaires: une mission complexe

MONTRÉAL — Le nouveau bureau de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) qui ouvrira bientôt à Montréal étudiera les répercussions des changements climatiques sur la sécurité mondiale. Mais le Centre d’excellence de l’OTAN pour le changement climatique et la sécurité se penchera également sur la façon de «verdir» les opérations militaires, une mission qui s’annonce compliquée.

Les guerres détruisent des écosystèmes importants, tuent des animaux, polluent des réserves d’eau, anéantissent des ressources alimentaires et provoquent toutes sortes d’autres catastrophes environnementales.

Les opérations militaires sont également une source très importante de gaz à effet de serre. L’armée américaine émet plus de GES, environ 60 millions de tonnes en 2017, que des pays industrialisés comme la Suède et le Portugal selon une étude publiée en 2019 par l’Université Brown.

De son côté, la Défense canadienne est le «plus grand consommateur d’énergie et le plus grand émetteur de GES du gouvernement fédéral», selon le ministère de la Défense.

Dans le contexte où les pays signataires de l’Accord de Paris s’engagent à atteindre la carboneutralité d’ici 2050, les organisations militaires devront elles aussi trouver des façons de réduire leur empreinte carbone. 

Le défi est colossal, comme le souligne Bruno Charbonneau, directeur du Centre sur la gouvernance sécuritaire et de crise (CRITIC) au Collège militaire royal de Saint-Jean.

«Il y a une contradiction entre les objectifs climatiques et la guerre, évidemment la guerre en soi est destructible, c’est une question de destruction.»

Il a souligné qu’il y a «peut-être, également, un problème de culture organisationnelle», car au sein des armées, «les objectifs climatiques» sont souvent perçus comme une opposition à «l’efficacité opérationnelle».

Diminuer l’empreinte carbone des missions militaires est en effet très loin dans les priorités des hauts gradés des armées des pays de l’OTAN si l’on se fie aux témoignages des participants d‘un atelier organisé récemment par le Centre FrancoPaix de la Chaire Raoul-Dandurand, le North American and Arctic Defence and Security Network, et le Centre for Security and Crisis Governance (CRITIC) du Collège militaire royal de Saint-Jean.

Ce sommet, qui a eu lieu à Montréal, réunissait des chercheurs, des experts en sécurité et d’ex-militaires. L’atelier était soumis à la «règle de Chatham House», une tradition militaire britannique; c’est-à-dire que les médias invités pouvaient rapporter les informations discutées, sans toutefois identifier les participants.

Il ressort notamment de cet atelier que l’économie d’énergie, l’utilisation d’énergie renouvelable et la réduction de l’empreinte environnementale sont souvent perçues comme des efforts qui peuvent compromettre l’efficacité d’une mission.

La décarbonation ne fait pas partie du vocabulaire des responsables de l’approvisionnement du matériel militaire, a expliqué l’un des participants.

Plusieurs des spécialistes présents à l’atelier s’entendaient pour dire que l’invasion de l’Ukraine par la Russie fait en sorte que la protection de l’Europe est actuellement la principale préoccupation des alliés de l’OTAN. Ce conflit augmente les besoins en recrutement des armées, dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre. En conséquence, la lutte aux changements climatiques et la décarbonation des opérations militaires sont loin d’être prioritaires.

Efficacité énergétique des véhicules militaires

L’efficacité énergétique des véhicules militaires faisait également partie des discussions. 

Lorsqu’ils partent en mission, les militaires doivent s’assurer d’avoir accès à des dépôts de diesel ou d’essence, mais comme l’a souligné Bruno Charbonneau, l’un des organisateurs de l’atelier, «les chaînes d’approvisionnement en pétrole sont souvent les cibles d’attaques ennemies, donc il y a quand même des avantages» militaires à faire une transition vers des véhicules qui ne dépendent pas du pétrole.

Il a toutefois précisé que «les grosses plateformes d’armement comme les avions et les navires sont dépendantes du pétrole» et «qu’ on n’est pas rendu à avoir des alternatives au gaz».

Même si on ne verra pas de sitôt le Canada ou ses alliés faire décoller des avions de chasse électriques ou des navires de guerre qui carburent à l’hydrogène vert, plusieurs intervenants ont souligné les efforts du Canada pour diminuer l’empreinte carbone de ses infrastructures militaires et de son parc automobile.

Selon le site du ministère de la Défense, «en date de 2019-2020, 33 % du parc de véhicules utilitaires légers de la Défense canadienne était composé de véhicules hybrides, hybrides rechargeables et à zéro émissions, et 84 % des nouveaux achats correspondaient à des véhicules écologiques».

Questionné à savoir si les prochains navires de guerre canadiens pourraient être «plus verts», un participant, bien au fait du processus d’approvisionnement de la Défense canadienne, a expliqué que la planification pour commander des navires se fait longtemps à l’avance et que ceux-ci sont conçus pour avoir une durée de vie de plusieurs décennies. 

Donc, même si une technologie «verte» était développée à court terme pour ce type de véhicule, il pourrait se passer beaucoup de temps avant que la défense en fasse l’acquisition.

De toute façon, a souligné l’intervenant, les principaux critères qui guident le gouvernement dans sa prise de décision sont la capacité d’un navire à remplir ses missions militaires et son coût. 

Le rôle du Centre d’excellence de l’OTAN pour le changement climatique et la sécurité

Trouver des solutions pour diminuer les émissions de GES des armées alliées fera partie des tâches du Centre d’excellence de l’OTAN pour le changement climatique et la sécurité.

Ce qui représente «un gros défi», a admis la Canadienne Blair Brimmell, directrice par intérim du centre qui aura pignon sur rue à Montréal.

«C’est pour cette raison que les pays alliés doivent travailler ensemble», de cette façon «si un pays développe de bonnes pratiques, les autres peuvent suivre son exemple».

Les tâches de l’organisation ne se limiteront pas à trouver des façons de réduire l’incidence des activités militaires sur le climat.

Les chercheurs qui travailleront au centre tenteront avant tout «d’améliorer nos connaissances concernant les multiples conséquences que les changements climatiques auront sur la sécurité de nos intérêts» et de «comprendre les répercussions des changements climatiques sur notre environnement stratégique, sur nos opérations et nos installations militaires», a précisé Blair Brimmell.

Le Centre d’excellence de l’OTAN pour le changement climatique et la sécurité devrait ouvrir officiellement à l‘automne 2023 et emploiera au départ, environ 35 employés.