Espaces bleus: la facture grimpe déjà à 300 millions $ alors que tout reste à faire

QUÉBEC — L’odyssée des Espaces bleus est à peine lancée que déjà la facture grimpe en flèche, alors que tout reste à faire.

Et personne au gouvernement ne va s’aventurer à prédire combien coûtera ce mégaprojet de réseau de lieux culturels régionaux, une initiative nouveau genre chère au premier ministre François Legault, et dont la formule reste encore à définir, un an après son lancement.

Lors de l’annonce du projet, le 10 juin 2021, le réseau de 18 Espaces bleus à travers le Québec devait coûter 259 millions $. Aujourd’hui, on l’évalue plutôt autour de 300 millions $ au ministère de la Culture, alors que le projet demeure embryonnaire.

Un an plus tard, un flou artistique nimbe ce projet culturel, aux contours mal définis, dont personne ne veut préciser la nature exacte et surtout pas le coût final. Les Espaces bleus semblent avoir un chèque en blanc.

Fixer le montant de la facture totale des Espaces bleus serait «de la pure fiction», admet celui qui supervise le projet, le directeur du Musée de la civilisation, Stéphan La Roche, en entrevue téléphonique récemment à La Presse Canadienne, en vue de faire le point un an après le lancement du projet. Il avoue «ne pas être en mesure de répondre à cette question-là».

Depuis l’annonce initiale, le gouvernement refusait de dire quand les visiteurs auront accès à l’ensemble du réseau de ces lieux culturels dédiés à l’histoire des régions et à l’identité spécifique de chacune. Aujourd’hui, on se risque à avancer l’année 2026, donc au terme du prochain mandat. «C’est notre espérance et notre ambition», résume prudemment M. La Roche, qui ne prend cependant aucun engagement relatif aux échéanciers.

Et quel est l’état d’avancement des travaux, une année après le lancement du projet d’Espaces bleus?

Aucun n’est encore ouvert au public. Du total des 18 nouveaux lieux culturels promis (17 Espaces bleus en régions, plus la maison-mère à Québec), on ne compte que trois chantiers à l’heure actuelle: Québec, Percé et Amos, qui en est à l’étape des plans et devis. Un quatrième devrait démarrer sous peu à Baie-Saint-Paul.

Ailleurs, donc dans la grande majorité des régions du Québec, tout reste à faire: la prospection et le choix des sites, l’acquisition d’édifices patrimoniaux, les rénovations dans le respect des règles visant ce type de bâtiments, l’aménagement des lieux, etc. Le premier Espace bleu devrait ouvrir ses portes aux visiteurs, en principe, à l’été 2023, à Percé.

On ignore toujours quels seront le mode de gestion et le budget de fonctionnement de ces presque-musées financés par l’État. C’est encore «trop tôt» pour fournir un chiffre, quant au budget de fonctionnement octroyé, selon M. La Roche. «Le modèle de gestion est actuellement en cours de définition», indique pour sa part le ministère de la Culture, en réponse à une demande d’information sur le sujet.

Chose certaine, la découverte des lieux ne sera pas gratuite. Comme dans les musées, les visiteurs devront acheter leur billet d’entrée. Le montant reste à déterminer. Les Espaces bleus devront donc avoir des revenus autonomes, dont l’importance demeure à préciser elle aussi.

On dit vouloir que ces nouveaux lieux culturels ne viennent pas concurrencer les musées régionaux existants, en agissant en «complémentarité» de ces derniers, par une offre différente. Dès le départ, la Société des musées du Québec avait émis des craintes, réclamant que les Espaces bleus ne s’installent pas dans des villes où on trouvait déjà un musée régional.

Côté contenu à offrir aux visiteurs, la formule est toujours en gestation, le concept reste à peaufiner. M. La Roche assure qu’on privilégiera le sur mesure, en opposition au «mur à mur». Chaque Espace bleu aura donc son style, sa personnalité propre, collant à celle de sa localité. On veut aussi développer un style «immersif, participatif», avec des expositions permanentes et temporaires.

Pour éviter les faux pas, on promet de s’associer au milieu, aux instances locales, afin de s’assurer que le contenu reflétera fidèlement l’identité de la région. Un comité scientifique aidera Québec à choisir les événements marquants et à identifier les «bâtisseurs» de la région dont on célébrera les exploits, gens d’affaires, artistes, sportifs ou autres, qui constitueront l’essentiel du contenu offert au public.

M. La Roche promet que ces lieux culturels ne serviront pas uniquement à fouetter la fierté régionale et que les épisodes sombres de l’histoire locale, tout comme les personnalités controversées et les sujets plus difficiles, «ne seront pas évacués». Il n’y a pas d’ingérence politique quant au contenu à présenter, assure-t-il.

«Tout est dans le traitement» du sujet, précise M. La Roche, qui qualifie le futur réseau du «plus grand projet de développement culturel des 40 dernières années».

Au moment d’en faire l’annonce, le premier ministre Legault disait clairement qu’il voulait faire du réseau d’Espaces bleus des lieux où on allait célébrer «la fierté d’être Québécois», pas des lieux où on se remémore les moments plus sombres de l’histoire locale et les personnages moins glorieux qui ont marqué leur époque.

M. Legault avait ajouté qu’il voulait en faire des lieux «populaires», qui ne soient pas «ennuyeux» ou «poussiéreux» et surtout pas réservés «à une petite élite».

Dans ces musées nouveau genre, on devrait aussi trouver une salle multifonctionnelle, un local administratif et un café, où on mettra en valeur les produits locaux.