Le théâtre-thérapie, pour donner une plume et des ailes à des patients

MONTRÉAL — Après une vie plutôt difficile, parsemée d’épisodes de violence, d’itinérance et de toxicomanie, Normand Rivard a trouvé son salut dans l’écriture. Poésie et théâtre lui permettent de s’exprimer, de mettre en mots ce qui bouillonne en lui et ce qui, à ses yeux, ne tourne pas rond dans la société.

«J’ai toujours été un artiste à l’intérieur de moi-même, mais je n’ai jamais eu l’occasion de le laisser sortir», confie le Montréalais dans un touchant entretien téléphonique.

«On dirait que le fait d’avoir découvert ça [en moi] a donné un tout nouveau sens à ma vie sociale, à ma vie professionnelle», renchérit celui qui est atteint d’un trouble de la personnalité limite (TPL) et qui depuis cinq ans fait partie de la Troupe des artistes anonymes.

La Maison de la culture Mercier accueillera la troupe jeudi pour la grande première de la pièce Peur lumineuse, dans laquelle M. Rivard et d’autres patients suivis au Programme des troubles psychotiques de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal se raconteront, à leur manière.

L’ergothérapeute Saolie Dubois fait partie du projet depuis ses tout débuts, il y a six ans. Chaque année, de nouveaux artistes en herbe se joignent à la troupe, où un spectacle est élaboré dès l’automne pour être présenté en juin de l’année suivante.

Sur son site internet, l’Association des art-thérapeutes du Québec décrit l’art-thérapie comme «une démarche d’accompagnement thérapeutique qui utilise les matériaux artistiques, le processus créatif, l’image et le dialogue, et vise l’expression de soi, la conscience de soi, et/ou le changement de la personne qui consulte».

Aucun talent particulier, sauf un désir de se prêter sincèrement à la démarche, n’est nécessaire, souligne-t-on. L’art-thérapie peut prendre un nombre quasi illimité de formes et peut aider face à une multitude de problématiques.

«Je ne fais pas d’art-thérapie, mais j’utilise le théâtre comme modalité thérapeutique dans ma pratique», indique l’ergothérapeute.

«Concrètement, par le biais d’une activité créative, d’une occupation telle que le théâtre, on travaille divers objectifs, poursuit-elle. Ça permet d’aller chercher des usagers qui répondent peut-être moins aux thérapies plus traditionnelles ou qui adhèrent moins à des suivis dans un bureau.»

Briser l’isolement

En effet, d’approcher ses problématiques, ses craintes, son anxiété ou même certains symptômes par le jeu ou par l’expression artistique est un exercice parfois moins confrontant pour certains patients.

«En créant, on met sur papier ou en parole beaucoup d’émotions qui sont alors extériorisées, précise Mme Dubois. C’est une première étape pour les incarner, alors que c’est quelque chose de très intérieur pour plusieurs. De pouvoir partager, dans certains cas, leurs peurs, leurs voix, leurs hallucinations, mais aussi leurs rêves et leurs projets, ça a un effet libérateur.»

Un effet libérateur, mais aussi d’entraide, puisque d’en parler permet de se sortir de l’isolement et de constater que d’autres sont aussi aux prises avec des problématiques similaires.

Alexandre Gravel, également membre de la troupe, peut en témoigner. «Oui, c’est une activité thérapeutique, mais on sort de chez nous, on rencontre notre gang, on joue ensemble, relate le jeune homme, qui a étudié en théâtre. Moi, quand je fais des activités comme ça, je déconnecte complètement de mes voix, de mes bibittes, de mes problèmes.»

Le fait de présenter le tout devant grand public a aussi une visée de déstigmatisation, souligne Mme Dubois.

«Ça vient briser des préjugés face à la psychiatrie et aux troubles psychotiques, relève l’ergothérapeute. Pour moi, c’est important de donner la parole à ces usagers-là. Je trouve que c’est très enrichissant sur les plans professionnel et personnel.

«Ils travaillent leurs habiletés sociales, leur attention, la concentration et apprennent à mieux gérer leurs symptômes psychotiques, anxieux ou dépressifs, poursuit-elle. Ils peuvent travailler leurs habiletés relationnelles et sociales, qui peuvent ensuite être appliquées dans d’autres sphères de leur vie.»

Renouer avec la confiance en soi

Les retombées positives de l’expérience sont nombreuses et concrètes, indique l’ergothérapeute.

«Le fait de réussir ce défi-là qui est d’écrire et de jouer dans une œuvre à la fois collective et très personnelle, ça permet à certains usagers de réaliser qu’ils peuvent avoir une vie satisfaisante et s’accomplir malgré leur maladie, souligne Mme Dubois. C’est une reprise immense de confiance en soi.»

«C’est une expérience très spéciale de se faire applaudir par plein de gens, relève M. Gravel. Ça nourrit beaucoup notre estime de soi.»

Normand Rivard abonde en ce sens. En plus d’avoir publié deux recueils de poésie – un troisième est en route – et pris part à près d’une quinzaine de pièces à titre d’auteur ou d’acteur, il est aujourd’hui pair aidant auprès d’autres personnes aux prises avec une problématique de santé mentale et s’implique activement dans la société.

«Ce sont des choses très valorisantes, indique-t-il. Mais je ne pourrais pas les faire si je n’avais pas gagné cette confiance en moi, en mes textes, en ma poésie.»

L’homme a même appris à utiliser certaines manifestations de son TPL à son avantage. «Ma sensibilité, je la mets dans mes écrits. Mon hyperactivité, je m’en sers pour faire deux pièces de théâtre par année, pour mes activités, énumère-t-il. En ayant une maladie, on n’a pas que des défauts!»

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Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.

Note aux lecteurs: Une version précédente de notre texte affirmait au 4e paragraphe que le spectacle aurait lieu mercredi. En fait, il est prévu jeudi.