Les animaux de compagnie, victimes collatérales de la violence conjugale

MONTRÉAL — La violence conjugale compte son lot de victimes collatérales. Outre les conjoints, les enfants et les proches des victimes, les animaux de compagnie du ménage sont souvent témoins d’actes de violence, quand ils n’en sont tout simplement pas la cible. 

L’animal de compagnie peut être instrumentalisé par un conjoint violent pour avoir du pouvoir sur sa conjointe, indique Annick Brazeau, présidente du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale et directrice de la maison d’aide et d’hébergement Pour Elles des Deux-Vallées, en Outaouais.

«Il va frapper l’animal et le tuer et dire à sa victime: « la prochaine fois, ça va être toi », raconte-t-elle. L’agresseur sait que l’animal est une source de réconfort pour la victime et en lui faisant mal, il lui fait mal à elle, par ricochet.»

Par réflexe protecteur, l’animal peut aussi s’interposer entre le bourreau et sa victime lors d’épisodes de violence, ajoute-t-elle.

D’ailleurs, selon Carl Girard, fondateur de la SPA des Cantons et fondateur de l’Association des entraîneurs canins du Québec, bon nombre de chiens ayant été témoins ou victimes de violence conjugale ne s’en sortent pas.

«Comme la victime, le chien est traumatisé raide, et il faudrait que lui aussi entreprenne un cheminement pour s’en remettre. Mais on ne peut pas blâmer la victime si elle ne se sent pas capable ou si elle n’a pas les ressources pour aider son chien alors qu’elle tente elle-même de s’en sortir», relate-t-il.

«Mais dans tous les cas, l’animal paie pour la violence qu’il y a dans la maison», poursuit-il.

Les corps policiers ne compilent pas les données pour les animaux maltraités dans les cas de violence conjugale, a-t-on appris après le dépôt de quelques demandes d’accès à l’information.

Un frein à quitter le conjoint

Les liens entre violence familiale et maltraitance animale sont bien connus des organismes de protection des animaux, indique Me Sophie Gaillard, directrice générale de la SPCA de Montréal.

La présence d’un animal dans le foyer où se déroule la violence fait parfois en sorte que la victime tarde à aller chercher de l’aide. Par exemple, un conjoint violent peut menacer de s’en prendre à l’animal de compagnie pour exercer un contrôle sur son ou sa partenaire. 

«C’est fréquent que la victime qui songe à quitter la situation malsaine hésite parce qu’elle ne veut pas abandonner l’animal et le laisser à la merci de l’agresseur», précise Me Gaillard.

Ou parce qu’elles retournent chez elles nourrir l’animal ou voir comment il va, les femmes se retrouvent en contact avec leur agresseur, ce qui complique la cessation du lien conjugal, souligne Mme Brazeau.

Les refuges sollicités

Malheureusement, la plupart des refuges ou maisons d’hébergement pour victimes de violence conjugale ne permettent pas à celles-ci d’amener leur animal de compagnie, faute d’espace et de ressources notamment.

«Il y a plusieurs enjeux de sécurité liés à tout ça. Outre la question d’espace, il y a le fait qu’on accueille des gens qui peuvent être allergiques ou qui ont peur des animaux, souligne Mme Brazeau. Il y a aussi des animaux qui vont être violents parce qu’ils ont été maltraités.»

C’est sans compter la diversité des animaux qui rend difficile leur accueil. «On reçoit des demandes, mais pas juste pour des chiens et des chats, relève Annick Brazeau. On voit des lapins, des hamsters, des rats… On a déjà eu une demande pour un boa et même pour un cheval!»

Le besoin de loger les animaux pendant quelques semaines, voire quelques mois, le temps que la victime se reloge, est exprimé depuis plusieurs années par le RMFVVC, indique Mme Brazeau.

«C’est une difficulté et un besoin pour lequel on a besoin de trouver des solutions, souligne la directrice et présidente. Certains de nos membres ont tenté des partenariats avec des SPA ou avec des groupes de bénévoles qui trouvaient un foyer temporaire pour les animaux, mais ce sont des solutions au cas par cas.»

Zones grises

Pour les refuges animaliers, de prendre en charge les animaux de compagnie est un enjeu doté de plusieurs zones grises d’un point de vue juridique.

«D’abord, on ne peut pas toujours établir avec certitude que la victime est bel et bien propriétaire de l’animal, indique une autre source bien au fait du dossier. Puis, si le conjoint violent vient le réclamer, on n’a pas le choix de le lui donner.»

D’ici là, Mme Brazeau encourage les proches des victimes de violence conjugale à prendre leur animal sous leur aile.

«Des fois, on se demande comment aider quelqu’un qui vit de la violence, souligne-t-elle. S’occuper de son animal est une bonne façon de se rendre utile.

«Il ne faut pas oublier que la victime aura aussi besoin de se reloger par après, poursuit-elle. Et là, ce n’est pas facile de trouver un logement où les animaux sont acceptés. C’est un autre problème à résoudre.»

Un programme d’aide financière destiné à soutenir les refuges dans la prise en charge de ces animaux de compagnie est présentement en train d’être esquissé au ministère de la Justice, a appris La Presse Canadienne. Il n’a toutefois pas été possible d’en apprendre davantage puisque les détails de cette initiative ne sont pas encore publics.

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Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.