Traite des personnes au Canada: une exposition pour déconstruire les mythes

MONTRÉAL — À l’occasion de la Journée mondiale contre la traite d’êtres humains, le ministère fédéral de la Sécurité publique a lancé samedi l’exposition nomade «La traite des personnes, ce n’est pas ce que vous pensez», dans le but de défaire les nombreux mythes liés à cet enjeu.

L’installation extérieure visitera Montréal du 3 au 5 août prochain, sur le site du parc d’attractions La Ronde. Des arrêts sont aussi prévus en Ontario, en Nouvelle-Écosse, en Alberta et au Manitoba.

«Les Canadiens croient que c’est quelque chose qui arrive aux autres, dans d’autres pays, et ils ne comprennent pas à quel point c’est prévalent dans nos communautés», a souligné la directrice générale du Canadian Centre To End Human Trafficking, Julia Drydyk, en entrevue téléphonique.

Ce genre d’exploitation existe bel et bien à l’intérieur des frontières canadiennes, et «contrairement à la croyance populaire, la traite d’êtres humains ne prend souvent pas la forme de passage illicite de personnes à la frontière, d’enlèvements ou de confinement», a-t-elle expliqué. 

Au Canada, il s’agit plus souvent qu’autrement de violence conjugale, où les recruteurs vont «identifier leurs victimes, les leurrer puis user de manipulation psychologique pour les entraîner dans le commerce du sexe», par exemple au travers d’une relation amoureuse.

Cela peut aussi prendre la forme de travail forcé, où les victimes sont en grande partie des nouveaux arrivants ou des travailleurs migrants, dont le statut précaire, la barrière linguistique et la méconnaissance du droit canadien sont souvent source de vulnérabilité. Les employeurs abusifs ont tendance à isoler les travailleurs, à prendre possession de leurs papiers d’identité ou à les menacer d’extradition. 

Un fléau invisible

Selon Statistique Canada, les services de police canadiens ont déclaré 2977 affaires de traite de la personne entre 2010 et 2020, dont 220 (7 %) seulement à Montréal. Dans une autre étude de Juristat, couvrant cette fois la période 2009-2016, on estime que 13,6 % des infractions déclarées par la police ont eu lieu au Québec.

Toutefois, le nombre réel de victimes pourrait être bien plus élevé, comme elles «sont souvent isolées et cachées au public, a indiqué Mme Drydyk. De nombreuses victimes, que ce soit dans le trafic sexuel ou le travail forcé, pensent qu’elles sont responsables de ce qui leur arrive ou qu’elles ont commis un crime, donc il y a de la peur et de la méfiance envers les autorités», ce que leurs abuseurs utilisent pour les contrôler.

Au Québec, les statistiques pourraient être encore plus sous-évaluées, comme «les trafiquants recrutent, leurrent et manipulent systématiquement des jeunes femmes du Québec et puis les déplacent dans des provinces anglophones à l’autre bout du pays pour les exploiter dans l’industrie du sexe», a-t-elle ajouté, expliquant que les Québécoises y sont souvent vues comme «exotiques» et qu’une méconnaissance de l’anglais est un obstacle de plus à leur émancipation.

Statistique Canada estime qu’entre 2010 et 2020, les victimes étaient presque toutes des femmes (96 %).

La grande majorité d’entre elles étaient dans la prétrentaine et le quart n’avaient pas 18 ans. Voilà pourquoi Mme Drydyk a salué le fait que l’exposition de Sécurité publique Canada se déplace aux endroits que cette tranche d’âge fréquente, comme La Ronde. Ces lieux, comme les écoles, les centres d’achat et les refuges pour personnes en situation d’itinérance, sont souvent là où les trafiquants recrutent.

D’autres groupes sont aussi surreprésentés parmi les victimes, comme les Autochtones, les immigrants, les membres de la communauté LGBTQ+, les personnes placées en famille d’accueil ou handicapées, d’après Sécurité publique Canada. 

Mme Drydyk explique cela par «les enjeux structurels et systémiques auxquels ils font face dans leurs vies (…) quand vous regardez la manière dont notre société fonctionne, les systèmes d’inégalités et la discrimination les rendent plus vulnérables». L’isolation sociale, les difficultés financières et la dépendance à une substance font partie des facteurs de risque.

 Éduquer pour protéger

Mme Drydyk appelle toutes les provinces à mettre sur pieds des stratégies à long terme et à mieux financer les organismes d’aide aux victimes. À l’échelle fédérale, il existe déjà une Stratégie nationale de lutte contre la traite de personnes 2019-2024.

Mais le plus grand outil reste selon elle la sensibilisation du public, notamment en «requérant que les centres de service scolaires incluent le trafic humain dans leur curriculum et en se concentrant aussi sur des enjeux comme le consentement et les relations saines».

Les signes qu’une personne est victime de trafic sont multiples, mais subtils. «Elle peut avoir un nouveau partenaire amoureux ou ami, elle peut commencer à se distancier de ses amis et de sa famille, ou commencer à porter des items coûteux comme des vêtements ou des sacoches», sans que l’on comprenne comment elle les a payés. Elle peut aussi répondre aux questions avec «des réponses préfaites et ne pas être honnête à propos d’où elle va, disparaître des fois pour des jours, sinon des semaines».

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Si vous ou quelqu’un de votre entourage êtes victime de traite de la personne, vous pouvez contacter la ligne d’urgence canadienne au 1-833-900-1010. Cette ressource est disponible 24 heures sur 24 et est entièrement confidentielle. Le service est accessible dans une multitude de langues, ainsi que pour les personnes sourdes ou non verbales.