Trudeau regrette son choix de mots pour qualifier des participants au «convoi»

OTTAWA — Le premier ministre Justin Trudeau a affirmé vendredi qu’il regrette d’avoir qualifié des manifestants et sympathisants du «convoi de la liberté» de «petite minorité marginale de personnes».

«J’aurais pu et j’aurais dû choisir mes mots différemment», a-t-il dit au cours d’un point de presse où il réagissait au rapport du commissaire Paul Rouleau s’étant penché sur le fondement de la décision d’Ottawa d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence à l’hiver 2022.

Quelques jours avant l’arrivé d’une foule de camionneurs et de manifestants dans la capitale fédérale, M. Trudeau avait déclaré que «la petite minorité marginale de personnes qui se dirigent vers Ottawa, ou qui ont des opinions inacceptables qu’ils expriment, ne représentent pas les opinions des Canadiens qui ont été là les uns pour les autres (durant la pandémie)».

Dans son rapport de plus de 2000 pages publié vendredi, le commissaire Rouleau souligne que plusieurs ont interprété que le premier ministre critiquait l’ensemble des sympathisants au mouvement de protestation, ce qui «a eu pour effet d’énergiser les manifestants, de renforcer leur détermination et de les rendre encore plus aigris envers les autorités gouvernementales».

«Il se pourrait bien que ces commentaires aient été sortis de leur contexte, y compris par certains médias, peut-on lire. Cependant, à mon avis, les dirigeants gouvernementaux à tous les niveaux auraient dû faire davantage d’efforts pendant les manifestations pour reconnaître que la majorité des manifestants exerçaient leurs droits démocratiques fondamentaux.»

Interpellé sur ce point en conférence de presse, M. Trudeau a répondu qu’il «regrette de ne pas avoir choisi (ses) mots avec un peu plus de délicatesse».

«Je pense que c’est important pour les leaders d’être nuancés et réfléchis dans leurs propos et j’avoue que, de temps en temps, les émotions de frustration sont réelles pour moi et pour n’importe qui», a-t-il admis.

Il a soutenu qu’il avait formulé ses critiques à l’endroit du «petit nombre de gens (…) qui ont utilisé la désinformation pour amplifier les peurs, les anxiétés, les frustrations réelles et légitimes de plusieurs Canadiens».

«Je regrette que mes propos sur ces gens-là ont pu être dépeints comme une attaque sur les gens en général ou les gens qui voulaient exercer leur liberté de parole et d’expression.»

D’ailleurs, le chef conservateur Pierre Poilievre a insisté sur la portion du rapport Rouleau revenant sur l’effet des propos passés du premier ministre. Il a accusé M. Trudeau de «diviser pour régner» plutôt que d’«unifier les gens et reconnaître la peine qu’ils (éprouvent)».

 «Il croit que s’il peut monter les Canadiens les uns contre les autres, alors ils oublieront à quel point la vie est devenue misérable après huit ans de hausses d’impôts, d’inflation et d’un coût de la vie incontrôlable, a dit M. Poilievre en conférence de presse à Calgary. Vous pouvez donc vous attendre à ce qu’il continue à diviser les gens par race, région, statut vaccinal et toute autre ligne de fracture qu’il peut inventer.»

Un plan du gouvernement dans six mois

Le premier ministre a salué le travail du commissaire Rouleau dans son ensemble. Le juge franco-ontarien a conclu que la décision du gouvernement fédéral d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence était appropriée puisque le «seuil très élevé à respecter» avait été atteint.

M. Trudeau a ajouté, du même souffle, qu’il y a des «leçons importantes à tirer» des événements de janvier et février 2022 pour tous les ordres de gouvernement et les forces de l’ordre.

Il s’est engagé à présenter un plan quant aux 56 recommandations du juge Rouleau dans les six mois, de même qu’une réponse publique plus détaillée d’ici à la fin de l’année.

L’Association canadienne des libertés civiles (ACLC), qui a été entendue durant les travaux de la commission, a pour sa part souligné son «désaccord avec la conclusion (…)  selon laquelle le seuil juridique nécessaire pour invoquer la Loi sur les mesures d’urgence a été atteint».

L’ACLC a promis de continuer ses efforts visant à démontrer le contraire dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire présentée en Cour fédérale.

«La Commission d’enquête n’est qu’un parmi de nombreux mécanismes de reddition de comptes à notre disposition», a déclaré par communiqué Cara Zwibel, directrice des libertés fondamentales pour l’organisation.

Sur la colline parlementaire, le Bloc québécois a maintenu vendredi qu’Ottawa aurait pu régler la crise sans avoir recours à la Loi sur les mesures d’urgence.

«On a vu par exemple (que pour) tout ce qui était mesures financières — les gels d’actifs — les banques pouvaient le faire d’elles-mêmes, de façon privée, comme elles pouvaient aussi passer par des recours devant les tribunaux, ce qu’elles ont fait», a affirmé la leader parlementaire adjointe de la formation politique, Christine Normandin.

Selon elle, les députés devraient réviser la définition de ce qu’est un enjeu de sécurité nationale afin d’éviter qu’un gouvernement invoque la loi «de façon un petit peu plus facile».

«On a certaines appréhensions par rapport à des utilisations futures. On pourrait penser à des manifestations écologiques, des manifestations (de membres de communautés) autochtones comme on en a vu par le passé», a-t-elle évoqué.

Le Nouveau Parti démocratique, qui avait entériné, aux Communes, la décision du gouvernement Trudeau d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence, a insisté vendredi sur les erreurs des forces policières mentionnées par le juge Rouleau.

«Le rapport indique clairement que cette situation — et la réaction de tous les niveaux de gouvernement et de police — était inacceptable», a soutenu le chef du parti, Jagmeet Singh, par communiqué.

Il a ajouté que les recommandations mises de l’avant doivent «servir de feuille de route pour améliorer les services de police et les réponses du gouvernement aux crises».

– Avec des informations de Michel Saba