Un conseiller scientifique en chef pour épauler les municipalités

MONTRÉAL — La nomination d’un tout premier conseiller scientifique en chef au Québec changera-t-elle la manière dont les élus municipaux gouverneront? C’est le pari que prend la Ville de Victoriaville, qui fait figure de précurseur en désignant un chercheur universitaire pour épauler le conseil municipal dans l’exploration de nouvelles pratiques novatrices.

Lundi, la municipalité a annoncé la nomination de Simon Barnabé, professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières, à titre de conseiller scientifique en chef. Une première dans la province à tout le moins, peut-être même au Canada.

«À l’heure actuelle, le conseil scientifique auprès des gouvernements se focalise surtout auprès des gouvernements provinciaux ou des gouvernements nationaux. C’est pas arrivé encore au niveau des gouvernements de proximité et c’est ce qu’on met de l’avant avec ce nouveau statut. En ce qui concerne les villes de petite et moyenne taille, c’est vraiment une première», explique en entrevue à La Presse Canadienne M. Barnabé, à la fois titulaire de la Chaire de recherche municipale pour les villes durables depuis 2020 et cotitulaire de la Chaire de recherche industrielle sur la bioénergie et la bioéconomie régionale.

Aux dires du principal intéressé, la fonction de conseiller scientifique en chef d’une municipalité représente «une nouvelle façon pour de petites et moyennes villes de rapprocher la science de leurs décideurs municipaux et de les aider à jouer un rôle central dans l’écosystème de recherche et d’innovation».

Le recours à un scientifique ne saurait qu’être bénéfique pour la population et les entreprises de Victoriaville, mentionne son maire, Antoine Tardif. «On a toujours eu de grandes ambitions en ce qui touche le développement durable, dit-il. Maintenant, on peut avoir un impact encore plus grand sur notre environnement, pour nos citoyens, notre ville et aussi être un leader positif pour d’autres municipalités du Québec.»

Des décisions plus éclairées

La collaboration entre Victoriaville et le professeur Barnabé a cours depuis quelques années déjà. 

«Comme municipalité, on fait face à de plus en plus d’enjeux environnementaux, comme la lutte aux changements climatiques, la protection de la biodiversité et la réduction des GES, énumère M. Tardif. Le rôle de M. Barnabé, c’est de nous faire des recommandations de façon tout à fait indépendante: on a des plans d’action à tous ces niveaux, mais encore faut-il faire des choix et analyser lesquelles de nos actions auront le plus d’impact.»

Le conseiller scientifique en chef s’est par exemple penché sur les possibles utilisations des sédiments retrouvés dans le réservoir Beaudet, principale source d’alimentation en eau potable de Victoriaville. «On s’est mis à chercher de l’information scientifique sur ce qu’il est possible de faire avec ce type de sédiments, de voir ce qui a été fait ailleurs et de regarder autour de nous si des entreprises locales auraient intérêt à les avoir pour en faire bon usage», explique M. Barnabé.

Celui-ci a par ailleurs été mandaté par la Ville pour identifier des opportunités d’affaires avec des entreprises de la région pour encourager la transition énergétique locale. 

«Victoriaville a l’ambition de développer une économie verte et circulaire, mentionne M. Tardif. La filière de la batterie bat son plein dans la zone d’innovation de Bécancour, et nous avons demandé à M. Barnabé de voir comment on pourrait s’intégrer dans la Vallée de la transition énergétique grâce à ses contacts à l’Université et les chaires de recherche du coin.»

La nomination du chercheur à titre de conseiller scientifique en chef de la municipalité – une fonction non rémunérée par cette dernière, faut-il préciser – vient donc officialiser une pratique déjà établie, en plus de lui conférer certains avantages.

«Avec la désignation officielle par Rémi Quirion, le scientifique en chef du Québec, ça nous donne une ligne directe avec le plus haut scientifique du gouvernement du Québec, indique M. Tardif. Ça nous donne aussi accès au réseau de contacts de M. Barnabé, ses collègues chercheurs et d’autres institutions avec lesquelles il collabore, ce qui va nous être bénéfique puisqu’on n’a pas d’université sur notre territoire pour avoir cette expertise de pointe.»

Vers un réseau de conseillers scientifiques en chef?

Ce partenariat n’empêcherait pas le professeur Barnabé d’être nommé conseiller scientifique en chef pour une autre municipalité, en parallèle, bien qu’il espère être rejoint rapidement par des pairs. 

Le scientifique souhaiterait que d’autres villes et municipalités emboîtent le pas afin qu’il se développe, à l’échelle de la province, un réseau de conseillers scientifiques qui partageraient leur expertise entre eux et qui échangeraient sur des enjeux qui seraient peut-être communs à plusieurs communautés. 

Une réalité probablement pas si lointaine, s’il n’en tient qu’à l’Union des municipalités du Québec (UMQ), qui salue l’initiative.

«Victoriaville a toujours été à l’avant-garde de l’environnement et elle le démontre encore avec cette nomination, souligne Martin Damphousse, maire de Varennes et président du comité sur les changements climatiques de l’UMQ. Je suis convaincu que ça va faire des petits et que ce rôle-là sera éventuellement incontournable dans les villes.»

Par exemple, l’accélération des effets des changements climatiques force les municipalités à revoir leurs pratiques; l’apport de la science sera essentiel pour y faire face. 

De récentes études réalisées par les firmes Ouranos et WSP pour le compte de l’UMQ ont «démontré sans l’ombre d’un doute que l’impact de l’adaptation aux changements climatiques représentera la plus importante dépense nouvelle à venir des Villes, avec une moyenne de 12% de nos budgets. C’est énorme», commente M. Damphousse.

Or, les infrastructures municipales actuelles, construites et rénovées de manière traditionnelle, ne sont pas conçues pour ces intempéries extrêmes. C’est pourquoi un conseiller scientifique en chef pourrait permettre d’innover en amenant les élus municipaux à «penser en dehors de la boîte».

«On a l’obligation d’y penser aujourd’hui pour éviter les drames de demain», indique l’élu.

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Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.