«Buy American»: les exportateurs du Canada espèrent obtenir des exemptions

MONTRÉAL — Les fabricants canadiens courent une fois de plus le risque d’être touchés par le protectionnisme américain et pourraient devoir se battre pour obtenir des exemptions cruciales. 

L’administration américaine du président Joe Biden a annoncé lundi de nouvelles directives d’approvisionnement qui exigent que les matériaux de construction achetés pour les projets d’infrastructure financés par le gouvernement fédéral soient produits aux États-Unis. 

Le patron de Manufacturiers et exportateurs Canada, Dennis Darby, estime que le Canada devra travailler dur pour obtenir des exclusions et des dérogations afin de protéger l’accès au marché américain, comme il l’a fait par le passé. 

La clé de ces efforts sera d’insister sur la nature intégrée des économies, alors que les matériaux traversent déjà librement la frontière, et sur le fait que le Canada est rarement en mesure de dévaloriser les prix américains. 

«Le Canada et les États-Unis ne se livrent pas de concurrence dans le secteur manufacturier; en fait nous fabriquons des choses ensemble. Et c’est un truisme, ce n’est même pas un cliché», a affirmé M. Darby lors d’une entrevue téléphonique. 

À travers le continent, certaines nuances d’acier sont fabriquées presque exclusivement au Canada, tandis que d’autres sont produites aux États-Unis, a-t-il noté. 

«Nous aimerions dire: « Achetez nord-américain »», ajoute-t-il, en référence au slogan américain «Buy American». 

Les dispositions américaines sont probablement destinées à cibler des pays comme la Chine, où la production subventionnée et le dumping de produits destinés à l’exportation à des prix problématiquement bas suscitent des inquiétudes, a souligné M. Darby.

Les règles «Buy American» font partie du plan de projets d’infrastructure d’un milliard de milliers de dollars américains promulgué en novembre dernier. Elles exigent que tout «le fer, l’acier, les produits fabriqués et les matériaux de construction» utilisés dans les projets — des ponts aux réseaux internet à large bande — qui ont recours aux fonds fédéraux soient réalisés aux États-Unis. 

Cependant, la législation autorise plusieurs scénarios dans lesquels ces exigences peuvent être levées, notamment si elles sont incompatibles avec l’intérêt public ou si les matériaux ne sont pas produits en quantité suffisante sur le marché intérieur, ou si leur qualité n’est pas satisfaisante. 

Les agences fédérales seront chargées d’approuver toutes les dérogations, qui, selon la Maison-Blanche, devraient cibler des produits et des projets spécifiques «dans la mesure du possible», plutôt que des secteurs entiers ou des types de produits. Cet effort montre comment le président Joe Biden veut resserrer les larges exemptions sur lesquelles certains États se sont appuyés pour contourner les règles d’approvisionnement. 

Consultation au Canada 

En réponse à l’initiative «Buy American», Affaires mondiales Canada et le ministère fédéral des Finances sont en pleine consultation sur les politiques d’approvisionnement réciproques. Les deux ministères ont prévenu le mois dernier que les nouvelles exigences américaines «devraient affecter négativement l’accès des fournisseurs canadiens» aux marchés américains. 

Les audiences fédérales font suite à un engagement du budget libéral de l’an dernier, qui promettait «de veiller à ce que les biens et services ne soient achetés qu’à des pays qui accordent aux entreprises canadiennes un niveau similaire d’accès à leurs marchés d’approvisionnement». 

Dans le budget de 2022, publié plus tôt en avril, Ottawa a indiqué qu’il établirait de nouveaux objectifs pour les «achats écologiques» de l’ensemble du gouvernement, ajoutant une teinte verte aux plus de 20 milliards $ qu’il dépense chaque année en biens et services achetés. 

Cela pourrait avoir pour effet de favoriser les producteurs locaux, a observé Stuart Trew, chercheur spécialisé en commerce au Centre canadien de politiques alternatives. 

«Nous avons du ciment à faible teneur en carbone, nous produisons de l’aluminium à faible teneur en carbone et de l’acier à faible teneur en carbone au Canada. Et si vous exigez ces conditions sur les dépenses fédérales et les transferts fédéraux, vous allez donner la priorité aux emplois au pays», a-t-il expliqué lors d’une entrevue. 

Cette voie peut être d’autant plus attrayante que les accords commerciaux pourraient empêcher le Canada d’avoir recours à du favoritisme intérieur explicite. 

«Le Canada a pris de nombreux engagements et accords commerciaux hors de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ainsi, avec l’Union européenne, par exemple, cela interdit à peu près tout type de préférences nationales sur les dépenses allant jusqu’au niveau des conseils scolaires», a-t-il souligné. Il a cependant noté qu’il existait des exceptions dans certaines provinces pour les grands projets de transport en commun ou d’hydroélectricité.