Il est temps pour repenser à la formation au sein de la GRC, disent des experts

REGINA — Des experts conviennent avec les auteurs du récent rapport de la Commission des pertes massives: le moment est venu pour la GRC de repenser à ses méthodes militaires d’entraînement.

Les commissaires, qui ont examiné les évènements entourant la tragédie ayant coûté la vie à 22 personnes en 2020 en Nouvelle-Écosse, ont formulé une recommandation en ce sens. Selon eux, l’École de la GRC à Regina renforce la culture paramilitaire obsolète du corps policier, ce qui nuit à ses efforts pour établir des liens avec les communautés.

Scott Blandford, un expert en sécurité publique de l’Université Wilfrid-Laurier, à Waterloo, croit que ce type de formation ne permet pas d’acquérir un fort esprit critique et favorise le maintien d’un système bureaucratique.

Le rapport de la Commission des pertes massives recommande de changer la manière dont on forme les agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

Depuis 140 ans, les cadets de la GRC passent par la Division Dépôt, à Regina, en Saskatchewan. Mais le rapport recommande de mettre fin au modèle de la Division Dépôt d’ici 2032, pour le remplacer par un diplôme policier de trois ans.

Selon la Commission, un plus haut niveau d’éducation préparerait mieux les recrues à «un environnement de travail de plus en plus complexe aux niveaux social, légal et technologique».

La Division Dépôt accueille en moyenne 1200 cadets par année, pour une période de six mois chacun. Les recrues vont ensuite sur le terrain, où ils passent six autres mois en formation.

Le rapport note que la Division Dépôt a historiquement recruté «de très jeunes hommes et femmes». L’âge minimal est de 19 ans.

«De trop nombreux aspects de la formation à la Division Dépot renforcent une tradition culturelle paramilitaire dépassée», ont soutenu le professeur de sociologie à la retraite Chris Murphy et l’ancien assistant-commissaire à la GRC Cal Corey, tous deux membres de la commission d’enquête.

«C’était essentiellement un camp d’entraînement militaire (…) où tout était conçu pour développer la culture de la GRC, la marche et la discipline», renchérit Scott Blandford, lui-même un ancien policier qui avait choisi d’aller au collège policier provincial de l’Ontario.

Il raconte avoir souvent vu des accusations être rejetées parce qu’un agent était incapable de défendre les preuves qu’il présentait.

«L’université ou une éducation post-secondaire procure de fortes capacités d’écriture, pas un collège de police. Ce n’est pas leur point fort», souligne le Pr Blandford.

Ce n’est pas la première fois que la formation à la GRC est remise en question.

En novembre 2020, dans un rapport intitulé «Rêves brisés, vies brisées» sur le harcèlement sexuel au sein de la GRC, Michel Bastarache, un ancien juge de la Cour suprême du Canada, signalait déjà que la formation actuelle contribuait à la culture toxique en place.

«D’après ce qu’on m’a dit, la formation à la Division Dépôt vise à démolir une cadette et à la reconstruire pour la faire entrer dans le moule de la GRC», avait écrit M. Bastarache.

Il avait noté «un nombre important de comportements sexualisés, de beuveries et de relations abusives entre les instructeurs et les cadettes».

Lui aussi avait jugé que la formation contribuait à l’environnement toxique au sein de la GRC. «Je pense qu’il est temps de revoir l’approche de la formation qui leur est donnée à la Division Dépôt et de déterminer si elle est appropriée dans le contexte policier moderne», avait recommandé M. Bastarache.

Depuis 2020, la GRC dit s’être engagée dans un processus visant à établir une force de travail «saine, diversifiée et professionnelle».

Dans un communiqué publié en mars, la GRC avait annoncé la mise sur pied d’une équipe chargée d’étudier le rapport et ses recommandations «afin de guider notre plan d’action et d’informer le public de nos progrès».

Toutefois, les politiciens saskatchewanais, même s’ils reconnaissent le besoin d’une meilleure formation pour les policiers, sont fort réticents à une éventuelle fermeture de l’école. Celle-ci, qui existe depuis près de 140 ans, a de fortes retombées sur la région, notamment sur le plan des emplois et du tourisme.

Plus tôt en avril, les élus de l’Assemblée législative de la Saskatchewan ont adopté une résolution s’opposant à la fermeture de la Division Dépôt.

Tout en reconnaissant l’importance de l’École pour l’économie locale, le premier ministre fédéral Justin Trudeau a refusé de s’engager à la maintenir ouverte.

M. Blandford dit qu’un collègue pour des études policières pourrait être établi à Regina en utilisant les installations de l’École actuelle.

«Ainsi, on ne ferme pas complètement l’école. On s’adapte simplement en changeant son mandat.»

La Commission a recommandé qu’un campus soit situé dans le Canada atlantique et l’autre dans une région nordique.