La réponse à Meta est distincte au Québec, tant en politique qu’en affaires

MONTRÉAL — Le contraste entre le Québec et le reste du Canada en marge du bras de fer entre Ottawa et les géants du web est frappant, tant du côté politique que dans le monde des affaires.

Cette semaine, les gouvernements fédéral et québécois ont annoncé le retrait de leurs publicités des plateformes de Meta, société mère de Facebook et Instagram, pour protester contre la décision de celle-ci de bloquer les liens vers les nouvelles canadiennes. Meta veut ainsi forcer la main au gouvernement Trudeau car elle s’oppose à la loi C-18 qui prévoit obliger les géants du web à verser des redevances aux médias d’information.

La décision d’Ottawa et de Québec a été suivie par plusieurs municipalités québécoises et plusieurs médias québécois ont aussi décidé de faire de même.

Les partis fédéraux et provinciaux divergent

Du côté des partis politiques, toutefois, la situation est fort différente. Au Québec, tous les partis ont cessé leur publicité sur les plateformes de Meta. Le bureau du premier ministre François Legault a confirmé vendredi à La Presse Canadienne que la Coalition avenir Québec (CAQ), de même que tous les députés de la CAQ, ont mis un terme à leurs achats publicitaires sur Facebook. 

Le Parti libéral du Québec et Québec solidaire n’avaient pas de campagnes publicitaires en cours sur cette plateforme et n’en lanceront aucune jusqu’à nouvel ordre. Le Parti québécois, de son côté, avait déjà décidé de retirer ses publicités de Facebook à la fin du mois de juin.

Au niveau fédéral, c’est tout le contraire. Le Parti libéral du Canada (PLC) n’a pas suivi la politique du gouvernement qu’il dirige. Le PLC et le Nouveau Parti démocratique (NPD) ont tous deux confirmé, dans des courriels à La Presse Canadienne, qu’ils maintiennent leurs publicités sur cette plateforme. Quant au Parti conservateur, la question ne se pose même pas, puisque les conservateurs s’opposent à la loi C-18.

Un seul parti fédéral s’est retiré de Facebook et il s’agit du seul parti qui n’est actif qu’au Québec: le Bloc québécois avait en effet annoncé lui aussi qu’il délaissait la plateforme au F bleu dès la semaine dernière.

Le vrai levier

Selon les analyses transmises par le professeur Jean-Hugues Roy, de l’UQAM, Meta a récolté entre 3,7 milliards $ et 4 milliards $ en revenus publicitaires au Canada en 2022.

C’est donc dire que les retraits annoncés jusqu’ici ne constituent pas à eux seuls un levier majeur si l’on considère, par exemple, qu’Ottawa dit consacrer environ 10 millions $ par année à Facebook et Instagram.

La masse de l’argent récolté par Meta au Canada provient plutôt des annonceurs privés et un mouvement de retrait, partiel à tout le moins, s’est mis en branle dans le milieu des affaires québécois, alors que rien ne semble bouger dans cette direction ailleurs au Canada. 

Mobilisation des agences et annonceurs

Au-delà du retrait des sociétés d’État québécoises comme Loto-Québec ou la SAQ, le président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc, a appelé jeudi toutes les entreprises à un boycottage complet des plateformes de Meta. De son côté, l’Association des agences de communication créative (A2C, autrefois l’Association des agences de publicité du Québec) relance son Mouvement médias d’ici, créé il y a trois ans, en appelant cette fois les entreprises à s’afficher publiquement.

Ce mouvement invite les entreprises à consacrer au moins 25 % de leur budget de publicité aux médias locaux. «Ce qu’on dit, c’est: prenez conscience qu’il y a d’autres options», affirme la présidente et directrice générale d’A2C, Dominique Villeneuve, ajoutant que si elles veulent en faire plus, tant mieux.

«On ne voulait pas que l’objectif soit trop gros à atteindre, mais que tout le monde puisse faire des modifications à leurs plans média et à leur investissement. Ce qui a changé, c’est qu’on a créé un engagement public.

«Nous sommes en discussion avec plusieurs annonceurs et de nombreuses agences ont déjà suivi et ont déjà signé. Nous sommes très enthousiastes par rapport à la réponse actuelle», poursuit-elle en précisant que les noms des entreprises signataires devraient être annoncés la semaine prochaine.

Statu quo côté canadien

Or, le pendant canadien d’A2C, l’Association canadienne des annonceurs (ACA), a adopté le statu quo et n’appelle ses membres à aucune action. Dans une déclaration transmise à La Presse Canadienne, l’Association se dit certes «déçue d’apprendre que des géants de plateformes mondiales s’apprêtaient à bloquer les actualités pour les Canadiens». 

Son président, Ron Lund, affirme que «bloquer les liens vers les actualités canadiennes n’est pas équitable pour les consommateurs ou les annonceurs de contenu en ligne». Mais l’Association se limite à encourager Google et Meta «à continuer à chercher, de concert avec le gouvernement, une solution à l’avantage de tous».

Le seul mouvement constaté hors du Québec est le fait de grands médias canadiens qui, donc, sont partie prenante dans le conflit. Au départ, le Toronto Star faisait cavalier seul, mais la CBC, Postmedia et Bell Media se sont ajoutés au mouvement.

Pas si efficaces les géants

Pourtant, souligne Dominique Villeneuve, «selon la mesure utilisée, les médias locaux peuvent être plus efficaces et plus efficients. Ça dépend toujours comment on analyse la performance. C’est sûr que si on prend les mesures de performance offertes par les géants du web, qui les gèrent et qui les proposent, ça les avantage, mais quand on fait l’analyse avec d’autres outils de mesure, on peut arriver à des constats différents.»

Une étude de cas réalisée par l’agence publicitaire Touché! en 2019 montre que la campagne publicitaire réalisée par l’agence pour Via Rail à l’époque avait mené à une augmentation de de 6 % du nombre de passagers et de 5,5 % des revenus totaux du transporteur ferroviaire. La particularité de cette campagne? Pas moins de 80 % des investissements publicitaires pour les marchés de l’Ontario et du Québec avaient été alloués aux plateformes numériques de diffuseurs et de créateurs de contenu locaux, soit une hausse marquée de 25 points de pourcentage, pour une période et un budget média comparables à 2018.