Le débat entre Pierre Fitzgibbon et Christine Beaulieu alimentera-t-il J’aime Hydro?

MONTRÉAL — La comédienne Christine Beaulieu songe sérieusement à reprendre et ajouter une nouvelle scène à sa pièce de théâtre documentaire «J’aime Hydro» pour y inclure le débat public d’une heure auquel elle a participé avec le ministre de l’Économie et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, vendredi, à l’ouverture du Salon de la voiture électrique de Montréal.

C’est ce qu’elle a confié à La Presse Canadienne à l’issue de cette discussion vigoureuse, mais cordiale et respectueuse, au cours de laquelle M. Fitzgibbon a en fin de compte confirmé qu’il n’y aura pas de barrage sur la rivière Magpie, sur la Côte-Nord: «Vous avez bien vu, ça pourrait être une éventuelle scène dans une suite de “J’aime Hydro”. Je n’ai pas pris de décision par rapport à ça, mais en le faisant, on se l’est dit, Annabel et moi, que ça pourrait éventuellement le devenir.»

Annabel Soutar, productrice et dramaturge de «J’aime Hydro» et grande complice de Christine Beaulieu dans cette aventure, animait le débat où Mme Beaulieu s’est dite ravie de l’échange une fois celui-ci complété: «Notre conversation était super conviviale, super respectueuse, c’est franc, c’est ça que je veux, c’est ça qui m’intéresse (…) Quand on se rencontre pour vrai, on comprend mieux les points de l’un et de l’autre, puis c’est comme ça qu’on avance.»

Magpie: même pas à l’étude

Au sujet de la rivière Magpie, un joyau naturel de la Côte-Nord dont le réel potentiel hydroélectrique est à l’origine de nombreux débats, le ministre Fitzgibbon a rappelé que l’ex-présidente-directrice générale d’Hydro-Québec, «Mme Brochu l’a annoncé: la Magpie n’est même pas sous étude. Je pense que c’est clair qu’il y a des endroits…», a-t-il dit, sans toutefois terminer sa phrase. 

Mais, pour Christine Beaulieu, la question semblait désormais réglée après le débat: «Je l’ai bien entendu, oui. Il n’a pas l’air à vouloir aller là, clairement. Et c’est bien d’ailleurs de l’entendre.»

Cette question des barrages a d’ailleurs animé toute la première partie du débat. Pour la comédienne, la question ne se pose même pas. Il faut, selon son expression, «faire le deuil» des barrages, et ce, même si les besoins énergétiques du Québec augmenteront massivement au cours des prochaines années. 

Il faut commencer, selon elle, à récolter les térawatts du gaspillage «Nous ne sommes pas de bons consommateurs d’énergie. Les Québécois gaspillent beaucoup (et) il m’apparaît irresponsable d’encore toucher à la nature tant et aussi longtemps qu’on ne sera pas devenus responsables dans notre consommation», a-t-elle lancé en ouverture de débat.

«J’ai le droit d’être radicale!»

Bien qu’elle sache qu’il s’agit là d’une position extrême, elle affirme que c’est celle qu’il faut prendre si l’on veut que, du choc des idées jaillisse la lumière: «Je suis une artiste, j’ai le droit d’être radicale, a-t-elle lancé au plaisir des spectateurs. Si pour eux (politiciens ou directeurs d’entreprises), c’est irresponsable de faire le deuil (des barrages), je vais même jusqu’à dire que moi, en tant qu’artiste, je serais irresponsable de ne pas l’affirmer. Je pense que c’est ma responsabilité d’affirmer ma pensée pour qu’ainsi on puisse ensuite dialoguer.»

Pierre Fitzgibbon n’a pas hésité à répliquer à cette salve d’ouverture, mais n’a pas avancé de position catégorique pour autant: «Je ne pense pas qu’on puisse aujourd’hui dire: c’est fini les barrages. Je suis contre cette approche-là», a-t-il d’abord affirmé. Il a rappelé ce chiffre que tous ont entendu indiquant qu’Hydro devra être capable de produire 100 térawatts de plus, soit la moitié de sa capacité actuelle, d’ici 2050.

«Ma position, celle du gouvernement, c’est d’accélérer. Il faut aller plus vite parce qu’on veut décarboner», a-t-il insisté. Certes il faudra miser sur l’efficacité énergétique, a-t-il acquiescé. Il y aura aussi d’autres sources, comme la modernisation des barrages, l’éolien, le solaire ou la bioénergie.

Pas de barrages imposés

Ensuite, ajoute-t-il, «il y aura peut-être des grands ouvrages, mais Hydro-Québec, aujourd’hui, n’a pas conclu qu’il fallait faire des barrages. Nous n’avons pas conclu qu’il faut faire des barrages, mais on doit évaluer si ça vaut la peine ou non». Cette évaluation, dit-il, portera sur deux grands critères: le coût — s’il est prohibitif par rapport à une autre source, l’éolien par exemple, ce sera non — et l’acceptabilité sociale.

«Il n’est pas question que le gouvernement ou Hydro-Québec impose des grands ouvrages», a tranché le ministre Fitzgibbon. «Les barrages c’est un moyen que peut-être on va devoir utiliser si ça devient acceptable socialement, si au niveau économique c’est justifié.»

La contradiction des barrages

Qu’à cela ne tienne, Christine Beaulieu l’a placé devant la contradiction suivante: «Dans ma tête je dis: bon, l’objectif de décarboner, ce n’est pas de protéger la nature? De protéger la planète? De protéger notre environnement? Il y a quelque chose qui sonne illogique, dans ma tête d’aller toucher à une rivière pour protéger la nature. Parce que si l’objectif de la décarbonation est de protéger notre planète, pour moi ça ne fait pas de sens d’aller s’attaquer à un écosystème vierge.»

«La crise climatique et la protection de l’environnement, ce n’est pas qu’une question de gaz à effet de serre. On ne protège pas notre planète seulement en ne produisant pas de gaz à effet de serre. On protège notre planète en protégeant les écosystèmes sauvages qui restent et il y en a tellement peu», a martelé la comédienne, reprenant ainsi la logique exprimée dans son documentaire théâtral.

Une demande de 125 TWh d’ici 2040

Mais Pierre Fitzgibbon, avec tout le pragmatisme qui le caractérise, a insisté sur la question de la demande. Au pont tel qu’il a avancé des chiffres que l’on n’avait pas entendus jusqu’ici. Selon lui, en effet, le besoin de 100 térawatts d’ici 2050 pourrait être sévèrement sous-estimé: «Il y a peut-être des projets intéressants qui vont faire qu’on aura besoin de 125 TWh d’ici peut-être non pas 2050, mais d’ici 2040.»

Se disant amateur de la pêche au saumon, il a reconnu que des territoires méritent d’être préservés, d’où ses propos sur la rivière Magpie. Mais, s’est-il empressé d’ajouter, il a en en mains une liste de 50 rivières qui pourraient être harnachées dont certaines pourraient représenter un compromis acceptable pour tous: «Quand on regarde la baie James, on regarde le Labrador, il y a peut-être des ouvrages — peut-être — qui vont faire du sens au niveau écologique et qui vont faire du sens au niveau de l’acceptabilité sociale.»

Tarifs pour consommation de luxe

L’autre thème qui a donné lieu à des échanges forts intéressants était celui des tarifs. Christine Beaulieu s’est alors improvisée ministre: «Mon plan de match, si j’étais à votre place, je me dis qu’il faudrait une base d’énergie qu’on pourrait catégoriser d’essentielle — donc pour ne pas avoir froid l’hiver, pour pouvoir se laver, se nourrir — et au-delà de cette énergie vitale, nous devrions tous et toutes payer notre électricité plus cher quand ça tombe dans le luxe», a-t-elle avancé. Il est vrai, a-t-elle reconnu, que les Québécois tiennent à leur électricité accessible parce que la ressource leur appartient, mais cela porte au gaspillage. 

«Si vous vivez à deux dans une maison de 5000 pieds carrés avec une piscine creusée, trois garages, vous avez les moyens de payer votre électricité beaucoup plus cher que vous ne la payez maintenant parce que vous ne faites aucunement attention à votre consommation. Pourquoi? Parce que ça ne fait pas de différence dans votre portefeuille. On devrait avoir honte comme citoyens d’être dans cette posture-là», a-t-elle laissé tomber.

Pierre Fizgibbon n’a pas hésité à lui donner raison: «Je suis entièrement d’accord avec ce que vous venez de dire (…) chauffer un spa et chauffer de l’eau (pour des besoins essentiels) ce n’est pas la même chose. Je pense qu’on est rendus là.»

Protéger les plus vulnérables

Mais le politicien en lui a pris soin de mettre des balises à de telles intentions: «Il faut faire attention aux familles qui sont plus vulnérables. C’est sûr qu’on ne peut pas concevoir qu’on va augmenter de 10 % l’électricité. On l’augmente de 3 % et il y a beaucoup de gens qui sont opposés. Il faut trouver des mécanismes pour que les gens qui sont vulnérables paient moins cher, mais consomment différemment.»

Par contre, les entreprises qui comptent sur le passé d’homme d’affaires du ministre pourraient avoir des surprises: «De penser qu’on peut utiliser le bâton pour le comportement des individus, politiquement ce n’est pas réaliste. Pour les entreprises, oui.»

La dernière mouture de la pièce «J’aime Hydro» durait déjà trois heures et demie lorsque le rideau est tombé une dernière fois en août 2022. Les spectateurs devront s’atteler si Annabel Soutar et Christine Beaulieu décident d’y ajouter ce fort intéressant débat.