Le suicide maternel doit être mieux documenté au Canada, plaide une scientifique

MONTRÉAL — Le visage de la mortalité maternelle a changé. Le suicide et la consommation de substances représentent aujourd’hui une part importante des causes de mortalité des mères, pendant la grossesse jusqu’à la première année de vie de leur enfant. Ce phénomène préoccupant doit être mieux documenté au Canada, plaide une scientifique. 

Des études commencent à rapporter la proportion importante des morts de jeunes mères due à des enjeux de santé mentale. Toutefois, ces études ne correspondent pas à des systèmes de surveillance de cet enjeu au Canada, explique Jocelynn Cook, directrice des affaires scientifiques à la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC). 

«Les données sont très limitées et sous-estiment certainement le nombre de femmes qui meurent pendant la grossesse ou l’année suivante (au Canada), affirme Mme Cook. Des données provenant d’autres pays, des États-Unis et du Royaume-Uni spécifiquement, montrent que la santé mentale, le suicide et parfois la consommation de substances sont des facteurs majeurs du taux de décès maternel jusqu’à un an (après l’accouchement).» 

En Ontario, de premières données sur le sujet ont été recensées, mais «nous ne disposons pas de données précises et solides» pour l’instant au Canada, déplore Mme Cook. 

«Ce n’est pas très bien documenté, mais ces premières études montrent que nous ne sommes probablement pas très différents des États-Unis ou du Royaume-Uni, et leurs chiffres sont assez alarmants», souligne la scientifique à la SOGC. 

Toutefois, ces premiers chiffres de l’Ontario mettent en lumière «qu’il y a beaucoup de choses à faire pour mieux soutenir les femmes au cours de la première année qui suit la grossesse», dit Mme Cook. 

Certaines études ont aussi été publiées en Alberta. Par exemple, une étude parue dans le Journal d’obstétrique et gynécologie du Canada (JOGC), en juillet 2020, a dévoilé que parmi les morts maternelles périnatales survenues en Alberta de 1998 à 2015, 8 % étaient attribuables au suicide, et 12 % à une toxicité médicamenteuse. 

Malgré la disponibilité de ces chiffres, des actions restent à entreprendre pour mieux comprendre ce phénomène au Canada. 

«Si on ne comprend pas la prévalence des problèmes de santé mentale, il est assez difficile de comprendre si les choses augmentent ou si elles diminuent, déclare la scientifique. Nous ne savons pas si la situation s’aggrave, car nous n’avons même pas de base de référence.»

La pointe de l’iceberg

Le Dr Martin St-André, psychiatre et chef médical de la clinique de psychiatrie périnatale et du jeune enfant au CHU Sainte-Justine, soutient «Mme Cook dans son désir qu’on documente mieux le phénomène». 

«On remarque que dans les pays du G7, il y a beaucoup d’améliorations qui ont été faites sur le plan de la santé materno-fœtale. Et maintenant, le suicide est devenu une des premières causes de mortalité maternelle durant la première année après la naissance», affirme le Dr St-André. 

Il nuance toutefois que la mortalité parentale en lien avec la santé mentale est «très rare», mais qu’elle est «en quelque sorte la pointe de l’iceberg qui doit nous sensibiliser à la souffrance des parents durant cette période-là de vie». 

Le psychiatre évoque l’importance de distinguer les phénomènes qu’est la détresse psychologique des parents durant la période périnatale, des idées de suicide et de la question de la mortalité parentale. 

«Ce n’est pas rare du tout, qu’à l’intérieur d’un tableau dépressif ou d’un tableau anxieux, que des mères et des pères puissent présenter transitoirement des idées de suicide, qui peuvent varier d’une personne à l’autre», explique le Dr St-André. 

Ces «idées passives de mort (sont) l’expression d’une difficulté à vivre avec des émotions très fortes, et des fois, beaucoup de honte», ajoute le psychiatre. L’expression de ces idées par un nouveau parent ne signifie pas inévitablement qu’il va passer à l’acte. 

«Il faut prendre ça très sérieusement. Mais il faut considérer ça aussi: une bonne majorité du temps, cliniquement, ça reflète un désir d’échapper, transitoirement, à des expériences qui sont difficiles, et la personne ne va pas nécessairement faire de plan suicidaire», affirme le Dr Martin St-André. 

Même si la mortalité parentale en lien avec la santé mentale demeure un phénomène rare, cet enjeu doit nous préoccuper, souligne le psychiatre. 

«C’est important de sensibiliser le public que le suicide maternel, c’est quelque chose qui existe, c’est un tabou, c’est extrêmement rare», affirme-t-il.

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Besoin d’aide? 

Centre de prévention du suicide de Québec: 1 866-APPELLE (1 866-277-3553)

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Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.