Réduire les pesticides avec des mouches roses
De 20 à 25 millions de mouches roses stériles seront relâchées dans les champs de la Montérégie cet été pour permettre de sauver des récoltes tout en réduisant l’usage de pesticides. Préoccupés par l’utilisation massive de produits chimiques dans leurs cultures, des producteurs ont mis sur pied le Pôle d’excellence en lutte intégrée (PELI) abrité par le Centre local de développement des Jardins-de-Napierville. Mission : combattre les ennemis des cultures avec des techniques qui permettent de réduire les populations d’organismes nuisibles dans le respect de la santé et de l’environnement.
La mouche de l’oignon, qui ressemble en tous points à une mouche domestique, fait des ravages dans les champs d’oignon. Elles s’accouplent au printemps et déposent ses œufs près des plans d’oignons. Une fois qu’elles ont atteint le stade larvaire, elles se nourrissent de la plante et il en résulte une perte totale de cette dernière. En ayant recours à une stratégie de lutte intégrée, qui préconise la réduction de l’utilisation des pesticides chimiques, des chercheurs de la région sont parvenus à élaborer une méthode à la fois efficace et respectueuse de l’environnement, pour contrôler cet ennemi des cultures.
C’est la Compagnie de recherche Phytodata inc., basée à Saint-Édouard, qui élève des mouches de l’oignon stériles, qui sont teintées de différentes couleurs, dont le rose, afin que l’on puisse les reconnaître. Elles sont relâchées dans les champs afin qu’elles s’accouplent avec les mouches naturelles. Le résultat est que les œufs qui sont ensuite pondus par les femelles sont vides. De cette façon, les producteurs parviennent à réduire la population de mouches de l’oignon et à sauver leurs récoltes, tout en réduisant l’usage de pesticides chimiques.
Élever des mouches : une technique complexe
«Nous travaillons sur ce projet depuis 2004, explique Mylène Fyfe, technicienne agricole au Consortium PRISME, dont Phytodata inc. fait partie et dont la mission est de soutenir la production maraîchère dans le respect de l’environnement et des consommateurs. Il a fallu développer une technique permettant d’en élever un grand nombre et de parvenir à les stériliser sans les tuer. Aussi, avant que nous développions une nourriture adaptée pour elles, nous devions les nourrir avec des oignons et j’ai dû en éplucher des oignons!»
De 2004 à 2010, les tests s’effectuaient seulement à très petite échelle, sur une petite parcelle de terre. «On a dû ajuster le ratio de nos mouches à relâcher. Il fallait aussi tester à quel moment il était préférable de les relâcher, de façon à s’assurer que nos mouches restent vivantes», explique Mme Fyfe. À partir de 2010, ils ont commencé à faire des démarches auprès de plusieurs producteurs, de façon à utiliser cette technique à plus grande échelle.
Le groupe travaille maintenant à développer une technique semblable pour la mouche du chou. «Ce sont les producteurs qui investissent en recherche, mais ça coûte très cher. La plupart d’entre eux veulent nos mouches stériles, mais présentement, on est limité par notre capacité les élever, soutient Mme Fyfe. En 2012, nous avons produit 25 millions de mouches stériles, qui ont été vendues à une dizaine de producteurs. Par contre, on compte une vingtaine de producteurs d’oignons dans la région. C’est donc dire qu’il faudrait en arriver à produire plus du double de mouches stériles, que ce que nous produisons actuellement.»
Des résultats surprenants
«Lorsque nous avons approché Jean-Christophe et Olivier Barbeau, ils ne croyaient pas vraiment que ça allait fonctionner», explique Mme Fyfe. Cependant, ces derniers n’avaient pratiquement plus rien à perdre. En effet, ces derniers avaient perdu 66% de leur récolte en 2010. En 2012, grâce à l’introduction des mouches stériles dans leurs champs, les Barbeau ont eu moins de 5% de pertes de leurs récoltes et cette technique leur a permis de réduire de 95% l’utilisation de pesticides chimiques.
Avec un tel taux de succès, même si à première vue, ce type de traitement peut sembler plus dispendieux que les traitements conventionnels aux pesticides chimiques, plusieurs producteurs seront tentés d’y avoir recours. «Ça coûte environ 375$ à l’hectare, explique Mme Fyfe. On fait des relâchées toutes les semaines, pendant toute la saison, de fin avril jusqu’au mois de septembre. Ça peut paraître cher, mais chez certains producteurs, il y a tellement de mouches de l’oignon, qu’ils doivent appliquer plusieurs traitements avec des pesticides.
Comme les mouches développent une résistance aux produits chimiques, les pesticides sont moins efficaces et une partie de leur récolte va quand même être détruite. Donc pour certains d’entre eux, au final, ce traitement ne revient pas vraiment plus cher et en plus, c’est beaucoup moins nocif pour l’environnement.»
Un des facteurs les plus déterminants pour la réussite du traitement consiste à faire une rotation des cultures. Parfois, des producteurs vont échanger leurs terres, de façon à cultiver des légumes différents d’une année à l’autre, sur une parcelle donnée. De cette façon, les ennemis des cultures, que ce soit des insectes ou encore des champignons, ont moins de chance de proliférer. «La rotation des terres est de plus en plus difficile. Les producteurs se spécialisent, donc ils produisent peu de variétés différentes. En plus, comme il y a plusieurs producteurs d’oignons dans la région, ça devient difficile de trouver quelqu’un avec qui faire une rotation», explique Mme Fyfe.
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