Saint-Bernard-de-Lacolle : les demandeurs d’asile fuient d’abord et avant tout Haïti

En vacances à Montréal, le journaliste haïtien Jean Daniel Sénat est allé à la rencontre de migrants à Saint-Bernard-de-Lacolle, le 14 août, afin de réaliser un reportage pour le compte du Nouvelliste d’Haïti, le plus grand quotidien francophone du pays. Malgré l’accès limité au site, il a réussi à gagner la confiance de certains demandeurs d’asiles en s’exprimant en créole. Il a accepté de partager ses témoignages avec le Coup d’œil.

Impossible de manquer les nouvelles tentes installées tout près de l’autoroute 15 pour accueillir les migrants qui ne cessent d’affluer à quelques kilomètres de là, par l’ancien chemin douanier au bout du chemin Roxham à Hemmingford. Plusieurs Haïtiens sont prêts à tout pour nous ne pas revivre la misère dans leur pays d’origine.

Des dizaines de demandeurs d’asile, dont la majorité est d’origine haïtienne, patientent à l’intérieur d’une tente. Beaucoup d’adolescents et d’enfants en bas âge font partie de l’assistance. Sonnés par un voyage harassant, ils attendent plusieurs heures pour compléter les procédures, notamment entrevues, prises de photos et d’empreintes, avant de pouvoir être transférés vers les centres d’hébergement de la grande région de Montréal.

«Moi, je n’ai commis aucune infraction. Je frappe aux portes du Canada rien que pour fuir la misère», raconte sous le couvert de l’anonymat un migrant rencontré au camp transitoire.

Le jeune trentenaire a d’abord quitté Haïti le 13 août pour se rendre aux États-Unis avant de traverser la frontière à Hemmingford, à peine 24 heures plus tard. Il ne fait donc pas partie des 58 000 Haïtiens qui bénéficient d’un statut de séjour de protection temporaire (TPS) aux États-Unis depuis le tremblement de terre de 2010 et dont la prolongation prendra fin en janvier.

Informé des possibilités d’entrer au Canada de façon irrégulière via les réseaux sociaux, il est conscient que plusieurs demandes d’asile seront rejetées. Mais qu’importe, il veut tenter sa chance à tout prix, ne parvenant pas à décrocher un travail en Haïti, où l’emploi est l’exception et le chômage, la règle.

Même pour ceux qui vivaient aux États-Unis depuis quelques années, le portrait n’était pas rose.

«Je n’avais pas de permis de travail. Toutefois, je gagnais jusqu’à 700$ par semaine. Ce qui me pousse à me rendre au Canada, c’est mon désir de progresser d’un point de vue intellectuel», confie pour sa part un quadragénaire ayant travaillé durant 14 ans pour des organisations non-gouvernementales en Haiti avant de se rendre aux États-Unis.

Même s’il détient visa américain valide, celui qui a étudié la sociologie et les sciences juridiques en Haïti n’avait plus aucun espoir d’améliorer sa situation au pays de l’Oncle Sam.

Transit par 10 pays

Un autre demandeur d’asile détenait lui aussi un visa de touriste américain bon pour cinq ans. Mais on l’a révoqué parce qu’il a séjourné plus de six mois consécutifs aux États-Unis. Avant, il travaillait comme commerçant en Haïti et dit avoir reçu des menaces de ses concurrents. Le Canada lui apparaît comme l’ultime recours pour tenter d’éviter l’expulsion, alors que l’administration Trump entend adopter un nouveau décret pour mettre fin aux villes sanctuaires.

Accompagnée de sa petite fille, une mère en transit à Lacolle a raconté, du bout des lèvres, le périple qu’elle a effectué depuis quelques années avant d’arriver aux États-Unis. Elle dit avoir traversé pas moins de 10 pays. En passant par le Brésil, son mari aurait été arrêté et renvoyé en Haïti. Elle espère maintenant échapper à la misère et garantir un meilleur avenir à son enfant.

(Avec la collaboration de Josiane Desjardins)

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Environ 3000 demandeurs d’asile, dont la plupart sont des Haïtiens, ont traversé la frontière à pied au cours des dernières semaines en espérant obtenir rapidement le statut de réfugié.